Les déboires judiciaires de Nicolas Sarkozy se multiplient : quelques jours après avoir été mis en examen dans l’affaire du financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007, l’ancien président de la République est rattrapé par l’affaire de corruption à la Cour de cassation. Fabrice Lhomme, journaliste au Monde, a répondu à vos questions sur le tchat du Monde.fr.

Olivier : Dans les affaires dans lesquelles il est poursuivi, notamment l’affaire libyenne et celle de corruption, que risque au maximum M. Sarkozy ?

Fabrice Lhomme : Vous êtes nombreux à souhaiter savoir ce que risquerait l’ancien chef de l’Etat en cas de condamnation. Il est à vrai dire délicat voire déplacé de répondre précisément. D’abord parce qu’anticiper sur une condamnation, c’est tout de même passer par pertes et profits la présomption d’innocence à laquelle chacun a droit. S’agissant de M. Sarkozy, il est poursuivi de nombreux chefs de mises en examen, corruption, trafic d’influence, financement illégal de campagne électorale, et j’en oublie… Or à chaque incrimination correspond une peine spécifique, bien entendu. Enfin, il y a un écart considérable entre les peines maximales prévues par les textes et la réalité des sanctions, presque toujours plus douces… Ce que l’on peut dire malgré tout s’agissant des faits reprochés à M. Sarkozy, c’est qu’il risquerait sans doute, en cas de condamnation, des peines de prison avec sursis, de fortes amendes, et par ailleurs, en vertu d’une récente disposition, une peine automatique d’inéligibilité en cas de condamnation pour corruption (charge retenue par les juges de l’affaire Azibert/Bismuth)…

Jean : Est-ce qu’il sera jugé comme un citoyen lambda ou est-ce que son statut d’ancien président pourrait le protéger ?

Fabrice Lhomme : S’il devait être jugé, M. Sarkozy serait traité comme n’importe quel citoyen. En effet, l’immunité attachée à sa fonction ne s’applique que pour les actes commis en tant que président (ce n’est pas le cas dans le dossier Bygmalion, et encore moins dans l’affaire de trafic d’influence à la Cour de cassation), et disparaît une fois que le mandat du président concerné s’achève.

Mezou : Sachant que j’ai 70 ans, quelles sont mes chances de connaître les épilogues des diverses affaires Sarkozy en tenant compte de toutes les ficelles et manœuvres dilatoires des excellents avocats qui le défendront en première instance, appel, cassation et pourquoi pas Cour européenne des droits de l’homme…

Fabrice Lhomme : Bonne question cher(e) Mezou ! De fait, les procédures, surtout lorsqu’elles concernent des hommes politiques, sont particulièrement longues. Sans doute parce qu’ils disposent d’excellents avocats — chèrement payés — qui savent utiliser toutes les armes du droit pour faire traîner les dossiers. Il est intéressant de noter que ce sont les mêmes qui, dans d’autres cas de figure, dénoncent « les lenteurs de la justice »… Ainsi, s’agissant de M. Sarkozy, le dossier Azibert-Bismuth (l’affaire du trafic d’influence à la Cour de cassation qui lui a valu notamment d’être placé sur écoutes), très simple à instruire, est totalement à l’arrêt depuis deux ans du fait des multiples recours qui ont, de l’avis même du parquet dans son réquisitoire révélé par Le Monde en octobre 2017, « paralysé la procédure »… Cela dit, même les meilleurs recours ont une fin, et au moins deux dossiers devraient pouvoir être jugés dans les mois qui viennent, voire en 2019 : l’affaire Bygmalion et donc l’affaire Azibert-Bismuth.

Paul Bismuth : Bonjour, Nous avons peu d’informations sur les conversations des téléphones souscrits avec des noms d’emprunt mais on comprend que c’est ce qui a motivé leur renvoi, pouvez vous confirmer ?

Fabrice Lhomme : Bonjour cher Paul Bismuth ! En effet, le renvoi devant le tribunal de M. Sarkozy, son avocat Thierry Herzog et l’ex-haut magistrat de la Cour de cassation Gilbert Azibert, est fondé quasi exclusivement sur une série d’écoutes judiciaires concernant les trois hommes, écoutes largement documentées en 2014 par Le Monde, qui avait révélé l’affaire. Il faut préciser que ces interceptions téléphoniques avaient été déclenchées par le juge chargé du dossier libyen, Serge Tournaire, d’où les accusations des proches de M. Sarkozy qui soupçonnent ce magistrat d’avoir mis en œuvre la technique dite des « filets dérivants » (déclencher des écoutes dans une procédure en espérant découvrir quelque chose dans une autre affaire).

Papadimb : Bonjour. Le fait qu’il n’ait pas nommé le magistrat à ce poste monégasque prestigieux ne réduit-il pas la portée des reproches formulés ? Sans preuve, comment établir la corruption ?

Fabrice Lhomme : Bonjour Papadimb. Réflexion de bon sens, mais il faut savoir qu’en matière de corruption, c’est l’intention qui compte, et non sa réalisation. Si, par exemple, vous me promettez de l’argent en échange d’articles favorables à telle ou telle société ou personnalité, et que j’accepte votre proposition, je serais coupable aux yeux de la loi, même si finalement je ne rédigeais aucun article dans le sens voulu. Je serais alors poursuivi pour « corruption passive » (comme Gilbert Azibert dans l’affaire Bismuth), et vous pour « corruption active », comme MM. Sarkozy et Herzog dans la même affaire.


Clément : Pourquoi N.Sarkozy est-il renvoyé en correctionnelle alors que sa requête en nullité n’a toujours pas été examinée par la chambre d’instruction ? Pourquoi, lorsqu’il s’agit de N.Sarkozy, le secret de l’instruction est-il constamment violé et bafoué au mépris de toutes les règles de droit ? Pourquoi la présomption d’innocence qui fait la différence entre un système judiciaire moderne et les anciens temps où il appartenait à quelques personnes de décider de la culpabilité ou non d’un homme ? Pourquoi aucun journaliste n’est capable de la moindre objectivité quand il s’agit de se poser ne serait-ce qu’une légère question quand on voit que c’est une juge du syndicat de la magistrature connue pour son incapacité à l’impartialité surtout envers l’ancien président ?

Fabrice Lhomme : Bonjour Clément. Cela fait beaucoup de questions — et de récriminations — en une seule ! Je dirais, pour résumer, que les journalistes essaient de faire preuve du maximum d’objectivité, et je ne doute pas que cela soit également le cas des magistrats. Vous parlez du Syndicat de la magistrature, très marqué à gauche en effet, mais il est très minoritaire dans la magistrature. A l’inverse, le juge Gentil, qu’en son temps les sarkozystes poursuivirent de leur vindicte parce qu’il avait eu le malheur de mettre M. Sarkozy en examen dans le scandale Bettencourt, était lui plutôt réputé… de droite ! A son sujet, on peut noter que les proches de M. Sarkozy, M. Guaino notamment, qui le mirent plus bas que terre, jusqu’à l’accuser de « déshonorer la magistrature », ne critiquèrent plus jamais le juge Gentil une fois que celui-ci rendit un non-lieur à l’ancien président… Enfin, je rappelle une énième fois que, contrairement à une légende tenace, colportée par beaucoup d’hommes politiques, les journalistes ne sont absolument pas tenus au secret de l’instruction…

Martin : Savons-nous qui a informé M. Bismuth que son téléphone était sous écoute ?

Fabrice Lhomme : Bonjour Martin. Sur ce plan, l’information judiciaire a échoué : policiers et magistrats ont la certitude que M. Sarkozy a été prévenu en 2014 que la justice l’avait placé sur écoute, mais ils n’ont pas réussi à déterminer qui était le ou les informateur(s) de l’ancien président. De ce fait, son avocat et lui, mis en examen pour « recel de violation du secret de l’instruction », ont été blanchis sur ce point. Ils comparaîtront uniquement pour corruption active et trafic d’influence.

Un apprenti juriste : M. Sarkozy sera t-il jugé devant le tribunal correctionnel de droit commun ou sera t-il jugé devant une juridiction d’exception du fait de son statut de membre du Conseil Constitutionnel ?

Fabrice Lhomme : Bonjour, qu’il s’agisse de l’affaire Bygmalion ou du dossier Azibert/Bismuth, M. Sarkozy relève du tribunal correctionnel comme tout citoyen. Son statut de membre du Conseil constitutionnel ne lui permet de bénéficier d’aucune immunité, au contraire de celle dévolue à tout président de la République en fonction.