La grève des cheminots de la SNCF va durer au moins jusqu’à la fin du mois de juin. / Francois Mori / AP

C’est parti pour trois mois de « grève perlée » à la SNCF. Pour contrer la réforme de l’entreprise ferroviaire lancée par le gouvernement – transformation du statut juridique, fin du statut de cheminot pour les nouveaux entrants… –, l’intersyndicale (CGT, UNSA, SUD, CFDT) a décidé d’innover en instaurant un calendrier de grève reconductible de deux jours sur cinq. Ce mouvement, qui débute, lundi 2 avril à partir de 19 heures, doit durer au moins jusqu’au 28 juin.

L’appel des syndicats s’annonce particulièrement suivi : le taux de grévistes sera de 48 % pour l’ensemble du personnel et de 77 % chez les seuls conducteurs, mardi, au premier jour de la mobilisation, a annoncé la direction de la SNCF dimanche soir.

Comment les usagers réguliers ou occasionnels des TGV, TER ou autres Transiliens ont-ils anticipé et se sont-ils organisés ? Certains d’entre eux ont répondu à l’appel à témoignages diffusé sur Le Monde.fr.

Anticiper…

Brice est un directeur de banque prévoyant. Alors qu’il dirige une équipe de quinze personnes « gros consommateurs SNCF », il a aménagé en amont le programme des déplacements de ses salariés en fonction des jours de grève annoncés par les syndicats.

« Nous avons revu notre calendrier de déplacement avec des départs la veille, des retours anticipés et, pour quelques déplacements, des locations de voiture. Nous allons rester sur place parfois une nuit de plus avec du télétravail depuis l’hôtel. J’accorde des demi-journées de congé pour ceux qui vont partir la veille du jour prévu. Et ceux qui prennent le métro ou un scooter assureront la permanence sur place. »

Selon lui, « cette grève perlée sera un échec » :

« Le monde moderne offre des flexibilités, on peut s’adapter. Ceux qui vont souffrir sont les plus modestes, avec des métiers qui nécessitent leur présence. Pas les cadres. »

… mais, parfois, cela n’est pas suffisant

Si certaines et certains ont pu chercher à anticiper ce mouvement de grève, le fait qu’il débute dès lundi en fin de journée (officiellement à compter de 19 heures) n’avait toutefois pas forcément été intégré.

« Ce week-end, nous sommes allés voir notre fils dans le Sud-Ouest. Depuis des mois, on se fait une joie d’y aller, on a pris nos billets très en amont afin de ne pas les payer trop cher, mais [jeudi] nous avons reçu un message : notre train de lundi en fin de journée est annulé. Pour moi, la grève ne démarrait que le soir ! », témoigne ainsi Nathalie.

Alors qu’elle débute à peine, la grève « insupporte » déjà cette habitante de Lille. Elle explique avoir discuté avec un cheminot, après avoir appris l’annulation de son train, mais le dialogue a visiblement tourné court :

« Je parle prise d’otage, il parle service public. Je parle avantages, il me répond avoir un travail pénible, car il travaille le week-end pour un salaire ridicule. Je mets l’accent sur le fait que son emploi est garanti (et pas le mien !), il me répond acquis social… bref, on ne s’entend pas. »

Sortir le vélo…

« Souplesse et adaptabilité » seront les maîtres mots d’Hugo, 52 ans, durant ces trois mois de grève perlée. Habitant à Ermont (Val-d’Oise) et travaillant dans le 10arrondissement de Paris, il compte alterner entre train et vélo.

« Cela me permet de faire un peu de sport sur mon temps “de travail”. Le seul inconvénient reste la qualité peu attractive de l’environnement. Et si la pluie se mêle de la partie, c’est la cata… mais le printemps et les beaux jours pointent leur nez, alors les trois mois de grève possibles sont une opportunité de modifier ses usages. »
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… ou prévoir l’hébergement d’urgence chez des connaissances

Pour Viviane aussi, « mère de deux enfants en bas âge » habitant en région parisienne, les journées qui viennent fleurent « la galère ». Cette cadre dans la distribution dit « prier pour que quelques trains circulent ». « Mon employeur refuse d’entendre parler de télétravail, et seul·e·s les salarié·e·s ayant des enfants et pas les moyens de se loger en ville sont concerné·e·s », regrette-t-elle.

Selon elle, « le fait de n’avoir les prévisions [de circulation des trains] que la veille à 17 heures est un vrai problème pour s’organiser : trop tard pour prévoir un sac et supplier des connaissances de m’héberger si aucun train ne circule ».

Utiliser les nouvelles possibilités de télétravail…

Pour beaucoup d’internautes qui ont répondu à l’appel à témoignages, cette grève perlée va rimer avec télétravail. De nombreuses entreprises ont décidé d’y avoir recours, d’autant plus que son usage a été facilité par la loi travail adoptée en 2017.

Alors que la mise en place du télétravail nécessitait auparavant un avenant au contrat de travail et une régularité, il peut désormais être mis en œuvre de façon ponctuelle en cas d’enfant malade ou de grève, notamment. Pour cela, il suffit d’un simple accord, écrit ou oral, entre l’employeur et le salarié.

Ainsi pour Olivier, 42 ans, qui fait du conseil en entreprise, cette grève perlée va avoir des conséquences négatives sur le long terme pour la SNCF.

« Si cette grève dure effectivement un “certain” temps, on peut alors penser que certaines des entreprises qui ont encouragé le télétravail, dès le 3 avril, pourraient, après cette expérience presque malgré elles, être séduites par une mise en place plus pérenne de ce télétravail quelques jours par semaine (économie de places, gain sur les coûts et temps de transport…). Et, dans ce cas, c’est peut-être une clientèle professionnelle régulière qui voyagera moins souvent. »

… ou pratiquer le covoiturage

Le covoiturage est une des solutions déployées lors de la grève des cheminots qui doit durer près de trois mois. / PASCAL PAVANI / AFP

Mais si certains vont apprendre à travailler de chez eux, Colette va faire la découverte du covoiturage à 76 ans. « Voilà une bonne nouvelle, je vais découvrir le service de Blablacar pour la première fois grâce à la grève de la SNCF », s’enthousiasme-t-elle :

« Je suis à Paris avec mes petits-enfants pour le week-end de Pâques, je n’ai pas de train de retour, je vais donc rentrer en Lorraine, le mardi 3 avril, avec un jeune conducteur de 26 ans qui me déposera devant chez moi. Sans la grève de la SNCF, je n’aurais pas connu le covoiturage. »

Quant à William, 31 ans, il est à la fois usager de la SNCF et agent de maîtrise pour l’entreprise ferroviaire. Gréviste, il a également dû s’adapter. « Nous n’avons aucune satisfaction à pénaliser les clients bien au contraire. Je suis moi-même usager quotidien du TER sur la ligne Ambérieu-Lyon, explique-t-il. Ce week-end de Pâques, j’ai annulé mes billets de TGV pour descendre en famille sur Béziers et je suis parti avec femme et enfant en voiture pour assurer le retour lundi soir. »

Mais, malgré ces désagréments, William compte bien participer aux manifestations des cheminots à Lyon et « assume totalement » le mouvement de grève qui va durer plusieurs semaines.

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