« Donner aux grands singes un “droit à vivre” »
« Donner aux grands singes un “droit à vivre” »
Par Collectif
La France doit adopter à la fois des mesures concrètes et symboliques pour empêcher la disparition des orangs-outans, gorilles et chimpanzés, estime, dans une tribune au « Monde », un collectif de personnalités, parmi lesquelles Nathalie Baye, Laurence Parisot, Boris Diaw et Louis Schweitzer.
« Nous ne verrons jamais de dodo, cet oiseau exterminé il y a à peine trois cents ans... Mais, dans vingt à cinquante ans, nous aurons peut-être à pleurer la disparition des orangs-outans, des gorilles et des chimpanzés. » (Le dessinateur Aurel a cédé ses droits d’auteur pour le dessin fait pour illustrer cette tribune). / AUREL
Tribune. Notre pays doit s’engager à tout faire pour sauver les derniers grands singes vivant à l’état sauvage sur notre planète. Dans une trentaine d’années à peine, si nous ne faisons rien, ils auront disparu. Déjà, ils ne sont plus que quelques milliers à vivre, ou plutôt survivre, dans les forêts d’Afrique et d’Asie du Sud-Est.
Tous les enfants qui ont eu la chance de visiter un Muséum ont appris et compris la terrible histoire du dodo. Et, nous, adultes, restons sans voix devant les reproductions grandeur nature de cet oiseau, exterminé il y a à peine trois cents ans. Nous ne verrons jamais de dodo. Combien d’entre nous se sont dit que les hommes d’alors étaient stupides, qu’ils ne savaient pas la faute irréparable qu’ils étaient en train de commettre ?
Mais dans vingt à cinquante ans, nous aurons peut-être à pleurer la disparition des orangs-outans, des gorilles et des chimpanzés. Nous nous dirons que nous avons été stupides, mais nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas qu’ils sont braconnés, piégés, massacrés, et qu’on détruit leurs habitats, les forêts tropicales, où vivent aussi 70 % des plantes de la planète et 80 % des insectes. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas que nous partageons avec eux plus de 98 % de notre patrimoine génétique, faisant d’eux et de nous les membres d’une seule et même famille : les Hominidés.
Nous savons aujourd’hui que le plus proche parent du chimpanzé n’est pas le gorille… mais l’humain ! Nous ne pourrons pas dire que nous avons ignoré qu’ils étaient « des nôtres » et qu’à ce titre, c’est notre conscience d’humains qui aurait dû être ébranlée. Nous ne pourrons pas dire que nous n’avions pas remarqué que leur regard, leurs mains, leurs oreilles sont si similaires aux nôtres. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas que leurs capacités cognitives et psychiques, que leurs comportements sociaux et affectifs, étaient si proches des nôtres.
Cousins d’évolution
Nous nous émerveillons de découvrir qu’ils savent sélectionner des plantes médicinales pour se soigner, fabriquer des outils pour se nourrir, qu’ils ont des cultures, pratiquent la danse de la pluie, mais nous les laissons disparaître… Au cours des cinquante dernières années – alors que nous commencions seulement à découvrir ces incroyables cousins en les observant en Afrique et en Asie – 70 % de leurs effectifs disparaissaient dans leur habitat naturel. Et, avec eux, les trésors de la forêt tropicale, vitale aussi pour nous, humains.
En participant à leur régénération, les grands singes sont les jardiniers de ces forêts dont dépendent directement des millions de personnes parmi les plus pauvres de la planète et, indirectement, l’humanité entière. Notre avenir est lié au leur, nous avons besoin d’eux pour ralentir le changement climatique.
C’est notre conscience, notre responsabilité, et notre humanité profonde en réalité, qui nous dictent l’impérieuse nécessité de lancer aujourd’hui ce cri. Nous voulons alerter toutes celles et ceux qui peuvent agir de le faire maintenant et par tous les moyens dont ils disposent.
En effet, nous pouvons dès maintenant, ici et là-bas, réduire les menaces qui pèsent sur nos cousins d’évolution, sauver avec eux, pour eux et pour nous, la biodiversité dont les forêts tropicales sont le refuge, et amorcer plus largement la reconnaissance d’un minimum de droits pour des espèces menacées, emblématiques et porte-drapeau de la biodiversité.
Car, nous ne pouvons nier le rôle que nous jouons dans leur disparition. Ici, nos actions et notre consommation les déciment. Là-bas, nos entreprises les abîment. Donnons à la France la chance d’être pionnière dans ces initiatives et de les porter à l’International.
Le levier fort du symbole
C’est un plan d’urgence composé de mesures concrètes qu’il nous faut entreprendre. Que la France prenne, sur cette cause, le leadership à l’International et à l’Unesco en portant le projet d’une résolution reconnaissant une valeur particulière des grands singes comme espèces patrimoine mondial de l’Humanité. Qu’elle prenne l’engagement d’un objectif de « zéro déforestation » des habitats des grands singes en Afrique et en Asie, notamment au travers de sa commande publique. Qu’elle mette en œuvre toutes les mesures destinées à stopper le commerce illégal d’espèces de Grands Singes, de minerais (notamment le coltan) et d’espèces végétales de leur habitat.
Qu’elle porte au niveau européen un objectif de réduction massive de l’usage de l’huile de palme, en particulier dans les agro-carburants. Que sur son territoire soit, dorénavant, clairement interdit l’usage des grands singes dans les cirques et les spectacles, sur les plateaux TV et dans les publicités. Que les entreprises françaises fassent tout ce qui est de leur responsabilité pour les protéger et ne pas leur nuire et à leur habitat. Que ces actions soient reconnues et valorisées au travers d’un label « Ape-safe ». Que tous, Etats, collectivités locales, entreprises, orientent leurs programmes d’aides financières en direction des projets et des pays qui protègent et restaurent les forêts tropicales.
Cher Nicolas Hulot, nous comptons sur vous pour mettre la sauvegarde des grands singes à l’ordre du jour de vos projets prioritaires pour la préservation de la biodiversité et l’amélioration de la condition animale. Le gouvernement doit actionner un levier fort : celui du symbole. Proposer au Parlement l’adoption d’une loi reconnaissant, dans notre droit, aux sept espèces de grands singes, un statut législatif particulier de « personnes non humaines ». Par cette loi, et aussi par le plan d’action d’urgence que nous avons esquissé ici, la France portera un symbole très fort : celui de donner aux grands singes un « droit à vivre ».
Liste des signataires : Nathalie Baye (actrice) ; Sabrina Krief (professeure du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN), spécialiste de l’écologie des chimpanzés) ; Laurence Parisot (présidente d’honneur du Medef) ; Patrick Roger (chocolatier et sculpteur) et Yann Wehrling (conseiller de Paris et conseiller régional d’Ile de France). Et : Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la culture ; Serge Bahuchet, professeur du MNHN, éco-anthropologue ; Erwan Balanant, député du Finistère ; Alain Baraton, jardinier en chef du parc du château de Versailles ; Brigitte Bardot, présidente de la Fondation Brigitte Bardot ; Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres, ancienne ministre de l’écologie ; Claude Beata, vétérinaire spécialiste du comportement des animaux ; Jean-Michel Bertrand, réalisateur, auteur de La Vallée des Loups ; Bruno Bich, ex-PDG du groupe Bic ; Gilles Bœuf, professeur Sorbonne-Universités, spécialiste de biologie marine ; Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) ; Norin Chai, vétérinaire en chef de la ménagerie du Jardin des plantes, MNHN ; Frédérique Chlous, professeure du MNHN, anthropologue ; Yves Coppens, professeur au Collège de France, paléontologue, membre de l’Académie des Sciences ; Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du logement ; Denis Couvet, professeur du MNHN, écologue ; Ronan Dantec, sénateur de Loire-Atlantique ; Cécile de France, actrice ; Barbara Demeneix, professeur du MNHN, spécialiste des perturbateurs endocriniens ; Boris Diaw, international français de Basket ; Loic Dombreval, député des Alpes Maritimes, président du groupe Etude condition animale à l’Assemblée nationale ; Albert Dupontel, réalisateur et acteur ; Patricia Gallerneau, députée de Vendée, vice-présidente du groupe Etude condition animale à l’Assemblée nationale ; Hyppolite Girardot, acteur ; Arnaud Gossement, avocat ; Thomas Grenon, directeur général du Laboratoire national de métrologie et d’essais ; Florent Guhl, directeur de l’Agence Bio ; Francis Hallé, botaniste spécialiste des forêts tropicales ; Evelyne Heyer, professeure du MNHN, anthropologue ; Annabelle Jaeger, présidente du comité français de la Fondation Prince Albert II de Monaco ; Jean Jouzel, climatologue, membre de l’Académie des Sciences ; Mélanie Laurent, actrice ; Maud Lelievre, déléguée générale des Eco-Maires ; Shelly Masi, maître de conférences du MNHN, spécialiste du comportement des gorilles ; Philippe Michel-Kleisbauer, député du Var ; Jean-Pierre Mignard, avocat ; Nicolas Vanier, écrivain, voyageur du froid, écrivain, réalisateur ; Pascal Picq, maître de conférences au Collège de France, paléoanthropologue ; Emmanuelle Pouydebat, directrice de recherches au CNRS et au MNHN, biologiste de l’évolution des comportements des animaux ; Audrey Pulvar, présidente de la Fondation pour la nature et l’homme ; Richard Ramos, député du Loiret ; Charlotte Rampling, actrice ; Jacques Rocher, président de la Fondation Yves Rocher ; François Sarano, océanologue ; Louis Schweitzer, Président de la Fondation droit animal, éthique et sciences ; Benoit Solès, comédien ; Eric Straumann, député du Haut-Rhin ; Laurence Vichnievsky, députée du Puy-de-Dôme, ancienne magistrate ; Cédric Villani, mathématicien, député de l’Essonne, membre de l’Académie des Sciences.