© Atsuhiko Nakamura / Sakuraichi Bargain / Akata

« Individualisation de la société, nucléarisation de la famille, baisse de la natalité, précarisation de l’emploi, effondrement des valeurs familiales, progression du statut social des femmes… » Ce sont, parmi d’autres, quelques-unes des raisons qu’avance l’auteur Atsuhiko Nakamura pour expliquer le phénomène des « puceaux tardifs » au Japon. C’est à un malheureux accident professionnel qui le pousse dans un centre d’auxiliaires de vie pour personnes âgées qu’il doit la prise de conscience de cette réalité peu connue et peu commentée : celle de cette catégorie d’hommes japonais qui ne réussissent pas à établir un quelconque rapport avec le sexe opposé.

© Atsuhiko Nakamura / Sakuraichi Bargain / Akata

En huit portraits, dont le sien, il offre un panorama effrayant de ce phénomène qui touche plus d’un quart de la population masculine japonaise. Entre enquête sociologique statistique et portraits individuels de cas représentatifs, l’auteur nous fait plonger dans un monde où le désespoir est extrême, mais dont la rédemption n’est pas exclue. Le manga est l’adaptation d’une enquête sur le sujet, exploitant une série d’interviews réalisées par l’auteur et publiées sur le site Internet Gentôsha Plus, avec un succès d’audience exceptionnel.

Dénonçant à la fois des comportements individuels déviants et d’autres dus aux circonstances sociétales, le regard qu’il porte sur ces populations n’est pas dénué d’une certaine tendresse, mêlée à une cruauté assumée. Le trait simultanément réaliste et caricatural de Bargain Sakuraichi, à la manœuvre pour dessiner ces tranches de vies, vient donner chair, littéralement, à ce propos accablant. Pour qui connaît déjà le Ladyboys versus Yakuza, la fiction transsexuelle outrancière de Bargain Sakuraichi, éditée aussi par Akata dans sa collection « WTF », il n’y aura pas de surprise. On est bien dans le style extravagant et hypertrophié de cet auteur connu pour ses œuvres érotiques, qui peut donner parfois une dimension féroce ou méchante aux portraits. Une transcription qui relève plus des tableaux de Jérôme Bosch et de son grinçant Jardin des délices que d’un témoignage réaliste.

© Atsuhiko Nakamura / Sakuraichi Bargain / Akata

C’est une véritable plongée, très documentée, dans le monde des auxiliaires de vie, des otakus, des maid cafés, des shirake sedais (« génération apathique »), des konkatsu pâtî (« speed dating »), des love hotels… La liste est longue des notions de culture populaire brassées par ce manga atypique.

Une lecture à la fois poignante et sidérante dans un Japon contemporain dont on ne soupçonne pas l’existence. A lire absolument.

© Atsuhiko Nakamura / Sakuraichi Bargain / Akata

La Virginité passé 30 ans, d’Atsuhiko Nakamura et Sakuraichi Bargain, aux éditions Akata. Tome unique de 240 p., 15 euros.