A l’université de Nice, des masters à 4 000 euros qui passent mal
A l’université de Nice, des masters à 4 000 euros qui passent mal
Par Sofia Fischer
Ces diplômes en deux ans ont été mis en place par Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur, qui a présidé l’université de Nice entre 2012 et 2017. Des étudiants et des professeurs critiquent cette « privatisation ».
« Etudiants de toutes les facs, unissons-nous », pouvait-on lire mardi 10 avril sur le tableau lors de la dernière assemblée générale du collectif Sauve ta fac 06, qui a voté dans la foulée le blocage du conseil d’administration de l’université de Nice Sophia-Antipolis. Alors que la mobilisation se poursuit dans une quinzaine d’établissements en France, l’ambiance est de plus en plus tendue sur le campus Valrose.
« Merde à Vidal et à ses sbires », souffle-t-on dans les rangées d’étudiants présents à l’assemblée générale. Les étudiants protestent contre la réforme de Parcoursup mais aussi (et surtout) contre l’instauration dans leur établissement de nouveaux diplômes à 4 000 euros, remplaçant à partir de la rentrée prochaine trois parcours de masters de biologie dont les tarifs étaient calqués sur ceux en vigueur actuellement, soit 256 euros. Or, ces diplômes – baptisés diplômes d’établissement suivis en deux ans et qui donneront lieu à des équivalences nationales de masters – ont été mis en place par Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur, qui a présidé cette université entre 2012 et 2017. Une pétition « Non aux masters payants à Nice », a déjà été signée par 1 600 personnes dont 400 enseignants-chercheurs.
Jean-Marc Gambaudo, président de l’université Côte d’Azur, tente de tempérer : « Les diplômes d’établissement payants dans les universités existent depuis longtemps », même s’il concède leur caractère assez « inédit » en sciences. « On est clairement dans une logique de privatisation puisqu’on transforme une formation qui était publique – et donc quasiment gratuite – en une formation payante », explique Elisabeth Lemaire, directeur de recherche CNRS et membre du collectif Sauve ta fac 06. L’administration n’a cessé de dire qu’il s’agissait ici d’une « expérimentation ».
Fuite en avant
La crainte de beaucoup d’élèves et de professeurs est que cela soit, à terme, généralisé par la ministre. « Elle se sert de Nice comme laboratoire pour ensuite étendre cela au niveau national », assène Jérémie, un étudiant faisant partie du collectif mobilisé. « Pas question », répond Jean-Marc Gambaudo. « Nous avons conscience de la mission de l’université. Mais ce n’est pas en attendant l’argent de l’Etat indéfiniment que l’on va être sauvés. »
Car comme beaucoup d’universités aujourd’hui, Nice est en grande difficulté financière. Le nombre d’étudiants n’a cessé d’augmenter (+2 % en trois ans), sans recevoir les moyens nécessaires. A Valrose, tout le monde s’accorde sur le fait qu’il faut trouver des solutions, et vite. Pierre Chantelot, secrétaire national du SNESUP-FSU (syndicat national de l’enseignement supérieur) : « Nous sommes d’accord avec le constat que fait M. Gambaudo. L’université est en faillite. Mais ce ne sont pas aux étudiants de remplir les caisses. » Il dénonce une fuite en avant : « L’administration a ouvert la boîte de Pandore. A long terme, ça sera deux, quatre, six masters payants… et les étudiants seront de plus en plus nombreux à devoir payer pour faire leurs études. »
Une crainte partagée par certains professeurs de l’université Sophia-Antipolis. « Le ministère veut laisser les universités se financer toutes seules progressivement. Il ne faut pas laisser entrer le loup dans la bergerie », assure Laurent Michel, maître de conférences en mathématiques, et très impliqué dans la mobilisation. Didier Forcioli, professeur de génétique, enseigne dans un de ces masters de biologie qui deviendra payant à la rentrée prochaine. Il a refusé de participer à la future maquette. « A partir du moment où c’est devenu évident que cela deviendrait payant pour les étudiants, j’ai décidé de ne plus l’enseigner », explique-t-il.
Mais pour Paola Furla, future responsable de ces nouveaux diplômes, l’argent est nécessaire pour faire tourner des parcours qui manquaient cruellement de moyens. « Ces 4 000 euros, c’est pour louer des bateaux, aller en mer, leur faire faire des expériences… » Tout en rappelant qu’un système de bourse serait mis en place pour les étudiants européens « brillants » dont les parents auraient des revenus peu élevés.