« L’interview de Macron marque un virage dans la façon dont on interviewe un chef de l’Etat »
« L’interview de Macron marque un virage dans la façon dont on interviewe un chef de l’Etat »
Par Nicolas Chapuis
Nicolas Chapuis, chef du service politique, a répondu à vos questions sur l’intervention du président de la République dimanche soir sur BFM-TV et « Mediapart ».
Syrie, colères sociales, loi asile-immigration… le chef de l’Etat a répondu pendant près de trois heures aux questions de Jean-Jacques Bourdin et d’Edwy Plenel, dimanche soir.
Dijonnais : Qu’a annoncé Emmanuel Macron sur la réforme des retraites et quel sera le calendrier ?
Nicolas Chapuis : Emmanuel Macron a effectivement été interrogé sur la réforme des retraites. Il n’a pas détaillé le futur dispositif. La concertation pour réfléchir au nouveau système ne fait que commencer. Jean-Paul Delevoye, le haut fonctionnaire chargé du dossier, reçoit les partenaires sociaux à partir de ce lundi. Mais le chef de l’Etat a donné quelques indices sur ses préférences et a notamment affirmé qu’il souhaitait conserver un système par répartition. Il a réaffirmé son objectif de mettre fin à la prolifération de règles différentes, avec la « quarantaine de causes » qui « cohabitent ». Ce qui signifie que les régimes spéciaux vont peu à peu disparaître, d’ici « à dix ans », a-t-il dit. tout en laissant la possibilité d’envisager des spécificités professionnelles. La réflexion pilotée par M. Delevoye abordera « ce qu’apporte un trimestre cotisé et comment on peut le majorer », a expliqué M. Macron : « C’est-à-dire, si je m’engage par exemple comme pompier volontaire, est-ce que ça me donne des droits ? Tout ça est à discuter. » Il a par ailleurs affirmé qu’il voulait garder un système par répartition. Sur le calendrier, il souhaite que la loi « soit votée en 2019 ».
Clément : Bonjour, MM. Plenel et Bourdin se sont adressés à Emmanuel Macron sans l’appeler « Monsieur le Président ». N’y a-t’il pas une obligation légale ? Un protocole ?
Nicolas Chapuis : Il n’y a aucune obligation légale d’appeler quelqu’un par sa fonction. Il s’agit davantage d’une question d’usage ou de protocole. Les deux journalistes ont manifestement fait ce choix délibérément, même si Jean-Jacques Bourdin dans son introduction avait donné du M. le président. A plusieurs reprises, le choix d’appeler le chef de l’Etat « Emmanuel Macron » était également une réponse au tic politique (que Sarkozy employait beaucoup par exemple) qui consiste à reprendre le nom du journaliste pour lui répondre. Ce qui donnait des échanges assez comiques du type : « Je vais vous répondre Jean-Jacques Bourdin – Oui, Emmanuel Macron… »
Levil : Pas une question sur l’écologie, les intervenants ne sont-ils pas d’un autre âge ?
Nicolas Chapuis : C’est en effet la grande oubliée de cette intervention présidentielle. Il paraît très étrange qu’en 2018, alors que tous les signaux d’alarme nous annoncent une catastrophe environnementale imminente (sinon déjà présente), une interview présidentielle puisse faire l’économie de ce sujet majeur.
MaximeG : Le président s’est-il engagé à réitérer cette « évaluation » chaque année ? si oui, est-ce déjà prévu avec les mêmes journalistes ?
Nicolas Chapuis : A la toute fin de l’émission, le chef de l’Etat a répondu « chiche » à Edwy Plenel qui lui proposait de refaire le même exercice pour les deux ans de son élection. C’est déjà avec un pari de ce genre que le patron de Mediapart avait obtenu pendant la campagne qu’Emmanuel Macron revienne s’exprimer dans les locaux du média un an après.
Mbl67 : Quel est le montant exact des sommes récoltées lors de la journée de solidarité actuellement ? Peut-on consulter quelque part à quoi les sommes sont allouées ? au centime près…
Nicolas Chapuis : La journée de solidarité décidée en 2003 après la canicule a rapporté l’année dernière près de 2,3 milliards d’euros. Les chiffres sont disponibles sur le site de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.
Comment fonctionne la journée de solidarité ?
Durée : 02:37
Lathinae : Comment expliquez-vous l’agressivité des deux journalistes ? Etait-elle bien utile pour aller au fond des sujets ?
Nicolas Chapuis : Le style de l’interview est beaucoup plus commenté ce matin que le fond du propos présidentiel, ce qui est en soi intéressant. Certains y ont vu de l’agressivité mal placée, d’autre de la pugnacité bien venue. Il faut, pour juger cette interview, la replacer dans le temps long des interviews présidentielles. Elles ont été marquées souvent par une déférence à l’égard de la fonction qui tournait parfois à l’obséquiosité. Encore récemment, l’interview de M. Macron conduite par Laurent Delahousse sur France 2 avait été raillée pour l’absence de combativité dans les questions, qui ne tentaient absolument pas de pousser le chef de l’Etat dans ses retranchements.
De ce point de vue, ce changement de ton radical fera date et inspirera sûrement les prochains qui se frotteront à l’exercice. Fallait-il pour autant tomber dans un autre écueil qui est celui d’éditorialiser autant ses questions, de donner son propre point de vue et de rentrer dans une sorte de débat d’opinions avec le chef de l’Etat ? Je me garderai bien de juger mes confrères, tant l’exercice est difficile. Je n’aurais assurément pas, loin de là, fait mieux, étant de surcroît un journaliste plus habitué à l’écrit qu’aux plateaux télés. Mais je pense que cette interview servira de référence positive, pour trouver un juste milieu entre le « journaliste passe-plat » et « l’éditorialiste ».
Woody : Sait-on ce qui a poussé M. Macron a accepter d’être interviewé par E Plenel, connu pour un positionnement très marqué et parfois polémique ?
Nicolas Chapuis : Comme je l’ai rappelé plus tôt, M. Macron avait pris l’engagement de revenir devant la rédaction de Mediapart. C’était une façon de tenir en partie cet engagement, même si le dispositif n’était pas le même. Par ailleurs, M. Macron voulait montrer pour ses un an qu’il n’avait rien perdu de sa combativité. Il lui fallait donc un « adversaire » symbolique. Il savait qu’il ne serait pas ménagé et il aime ce genre d’ambiance, avec un ping-pong verbal dans lequel il est manifestement à l’aise. En choisissant Edwy Plenel, il savait qu’en renvoyant l’intervieweur dans les cordes, il pourrait parler à son propre électorat qui est globalement en désaccord avec le patron de Mediapart sur beaucoup de thèmes comme Notre-Dame-des-Landes, les migrants, le climat social…
Rom : Les échanges ont certes été longs mais peu de précisions, de concret sur les grands dossiers d’aujourd’hui, ne trouvez-vous pas ?
Nicolas Chapuis : C’est peut-être ce qu’on peut regretter ce matin en effet. Pour répondre aux questions, Emmanuel Macron a commencé à chaque fois par brosser le paysage de la réforme et du secteur concerné, pour finalement rentrer assez peu dans le vif du sujet. Ceux qui suivent l’action du chef de l’Etat, comme nous le faisons au Monde, n’ont rien appris de nouveau dans ce long échange.
BD : Bonjour, savez-vous si Emmanuel Macron avait prévu d’annoncer la reprise de la dette ? Durant l’interview, on dirait qu’il lâche l’information par erreur, sur un coup de tête.
Nicolas Chapuis : Non, je ne sais pas si c’était calculé. La reprise de la dette est implicitement admise depuis plusieurs semaines par les membres du gouvernement. Mais vous avez raison, c’est une nouveauté de le formuler aussi clairement. Reste à savoir quel montant de la dette sera repris…
MaxT37 : Quel bénéfice Emmanuel Macron tire du choix de ces journalistes ? j’ai l’impression que les questions orientées et agressives de Plenel vont encore le renforcer auprès de l’électorat de droite.
Nicolas Chapuis : J’en vois au moins trois : il a montré qu’il ne fuyait pas les questions des journalistes réputés pugnaces ; il a envoyé des signaux à son électorat centriste et droitier en répondant fermement à M. Plenel marqué à gauche ; il a touché le public de M. Bourdin, réputé « populaire », une catégorie de la population auprès de laquelle il décroche ces derniers temps.
Stabilo Boss : Avez-vous accès aux statistiques d’audience d’hier (notamment pour voir si les Français ont suivi jusqu’au bout ce format inhabituel) ? De même, avez-vous des chiffres qui montreraient que le président a convaincu ou pas hier soir ?
Nicolas Chapuis : les audiences sur BFM ont été excellentes pour la chaîne qui n’est pas habituée à concurrencer TF1 ou France 2 sur le créneau du dimanche soir, avec une moyenne de 3,8 millions de téléspectateurs (15,8 % de part d’audience). En revanche je n’ai pas vu passer de sondage de satisfaction. De manière générale, je trouve que ces sondages à chaud ne sont pas très intéressants, tant la question posée ne veut pas dire grand-chose (convaincu, pas convaincu). Je suis sûr par exemple que de votre côté vous avez pu être convaincus par certains points et au contraire agacés par d’autres réponses. Ce genre de sondage ne laisse aucune place à toute la nuance que requiert l’évaluation d’une émission de plus de 2h30.
Mel : Bonjour, Pouvez vous nous éclairer sur ce qui a finalement été donné comme réponse claire sur l’évasion, l’optimisation fiscale ?
Nicolas Chapuis : J’aurais bien du mal, tant la réponse n’a pas été claire, ce qui est bien dommage. Globalement, Emmanuel Macron a défendu le verrou de Bercy, a plaidé pour une plus grande harmonisation au niveau européen et a rappelé que l’optimisation fiscale ne relève pas de la fraude... Soit le statu quo absolu sur cette question pourtant majeure. Emmanuel Macron n’a pas donné l’impression de vouloir changer les règles du jeu dans ce domaine.