En Somalie, les soldats ougandais meurent et se succèdent
En Somalie, les soldats ougandais meurent et se succèdent
Par Gaël Grilhot (contributeur Le Monde Afrique, Kampala)
Alors que son contingent a été la cible d’attaques au bilan contesté, Kampala ne remet pas en cause son engagement dans la force de l’Union africaine.
Camp militaire de Singo, en Ouganda, le jeudi 12 avril. Les hommes et les femmes du groupement tactique 24 (GT 24) sont parfaitement alignés pour écouter les encouragements et les dernières recommandations de leurs supérieurs avant le départ pour la Somalie, où 1 822 soldats de l’armée ougandaise, l’UPDF (Uganda People’s Defence Force), doivent être remplacés en avril au sein de l’Amisom, la force de l’Union africaine. Pour beaucoup d’entre eux, c’est leur première affectation dans ce pays, alors que les islamistes Chabab continuent leurs attentats meurtriers à Mogadiscio et leurs attaques contre les troupes étrangères présentes sur le territoire.
Leurs derniers raids ont touché de plein fouet les troupes ougandaises. C’était le 4 avril, dans la région de Shabeellaha Hoose, où les soldats du GT24 seront précisément affectés. Plusieurs attaques simultanées ont fait, selon les islamistes, 59 morts parmi les troupes étrangères. Cité par le quotidien britannique The Guardian, un officier somalien assure que 46 soldats ougandais ont péri lors de deux explosions à Buulo Mareer, à 100 km de la capitale.
Le gouvernement, lui, a donné des chiffres bien plus bas, parlant de quatre militaires tués dans un premier temps, puis de huit. Durant les jours qui ont suivi ces attaques, ce bilan fluctuant a donné lieu à une polémique à Kampala, où l’opposition a tenté – en vain – de produire au Parlement sa propre liste, au sein de laquelle figurent les noms de dix morts et d’une quinzaine de blessés. Une passe d’armes pour la forme.
Par le passé, l’opposition a déjà essuyé un procès en lâcheté pour avoir osé demander un retrait des troupes ; depuis, elle rechigne à s’exprimer sur le sujet. Et au sein de la société civile ougandaise, le débat se focalise sur les compensations à apporter aux familles des soldats tués, sans remettre directement en cause la présence militaire au sein de l’Amisom.
Grenades et snipers
Des batailles de chiffres concernant le nombre de soldats tués dans des attaques en Somalie ont déjà été observées en 2015 et 2017. « Lorsqu’ils sont blessés, les soldats sont emmenés à Nairobi [au Kenya], où ils sont soignés. Et s’ils meurent des suites de leurs blessures, le premier bilan peut s’alourdir », tente d’expliquer un officier qui préfère garder l’anonymat, estimant que le chiffre de « 20 tués ou plus » est « envisageable » en ce qui concerne l’attaque du 4 avril. Une vingtaine, c’est aussi le chiffre lâché discrètement par un observateur étranger présent à la cérémonie au camp de Singo.
« Nous n’avons pas peur des attaques, affirme bravement Julianne Twijukye. Nous allons là-bas pour apporter la paix. » En uniforme réglementaire, la caporale porte un foulard qui lui couvre les cheveux, « parce que les femmes, en Somalie, s’habillent comme ça ». C’est la première fois qu’elle part sur ce terrain d’opération. Elle est parfaitement consciente des risques, mais elle répète : « J’ai besoin d’être forte, je vais là-bas pour protéger les civils. » Peu nombreuses, les femmes du GT24 sont très utiles sur le terrain, notamment lorsqu’il s’agit de discuter avec les Somaliennes.
A la veille de sa deuxième mission en Somalie, Steven, lui, a le visage plus fermé. Dans un mauvais anglais, il affirme que « ça fait partie de son travail », que les relations avec les populations locales ne sont pas si mauvaises et que les attaques « n’arrivent pas tous les jours ». A ses côtés, un officier confie que : « Les choses que nous craignons le plus, ce sont les engins explosifs improvisés et les grenades, qui peuvent venir de n’importe où, ainsi que les tirs de snipers. Les combattants Chabab sont équipés de fusils de précision Dragunov qui peuvent tirer à plus de 3 km. »
Mais le moral des troupes ougandaises n’est pas mauvais, affirme-t-il. Tout au plus souhaiteraient-elles être mieux payées et mieux équipées. « Quand je suis là-bas, je suis payé dans les 800 dollars par mois, il faudrait que ce soit revu à hauteur de 1 500 dollars », dit l’officier. Il souhaiterait surtout « avoir de meilleurs véhicules, car se déplacer à l’intérieur du pays est très dangereux ». Mais il reste conscient de l’utilité de sa mission : « Si nous partons un jour, je ne laisse pas trente minutes aux Chabab pour prendre le palais présidentiel. »
« Vigilants mais pas lâches »
Depuis plusieurs mois, les membres du GT24 suivent un entraînement, en partie délivré par des troupes étrangères (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, etc.), pour combattre en Somalie. Sur les 22 000 soldats que compte l’Amisom, l’Ouganda fournit le contingent le plus important : 6 000 hommes et femmes qui « comptent parmi les plus professionnels », affirme le major Will Harries, un instructeur de l’équipe de soutien britannique au maintien de la paix. Selon lui, le fait que les troupes ougandaises couvrent le terrain le plus important en Somalie les expose davantage aux attaques.
Au camp de Singo, la cérémonie se termine. Exceptionnellement, le chef d’état-major, le général David Muhoozi, a fait le déplacement pour haranguer les troupes : « Soyez vigilants mais pas lâches ! » Après son intervention, un officier prend le micro et entonne des chants militaires repris en chœur par la troupe. « C’est très important, souligne un journaliste. C’est peut-être la dernière fois qu’ils dansent sur le sol ougandais. »