La Commission européenne veut mieux protéger les lanceurs d’alerte
La Commission européenne veut mieux protéger les lanceurs d’alerte
Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
Un projet de directive vise à encourager les témoins d’infractions à sortir du silence.
Rassemblement, le 16 avril à La Valette, en mémoire de la journaliste maltaise assassinée Daphne Caruana Galizia. / MATTHEW MIRABELLI / AFP
Pressée par le Parlement de Strasbourg, la Commission européenne devrait enfin proposer, d’ici au lundi 23 avril, une directive pour mieux protéger les lanceurs d’alerte partout dans l’Union européenne (UE). Ce texte prend un relief particulier, six mois après l’assassinat de la journaliste d’investigation maltaise Daphne Caruana Galizia, qui n’a toujours pas été élucidé.
Seuls quelques pays européens (neuf à ce jour, dont la France, la Suède et les Pays-Bas) ont défini, dans leur droit national, un statut spécifique pour protéger ces personnes qui dénoncent les turpitudes dont elles sont témoins dans leur administration ou dans une entreprise.
Et, dans certains de ces Etats, la loi n’est manifestement pas assez protectrice : Antoine Deltour, principal lanceur d’alerte du scandale « LuxLeaks » (révélé fin 2014), n’a pas été ménagé par la justice du Luxembourg. En janvier, la Cour de cassation du pays a annulé une première condamnation du Français, ex-employé du cabinet PricewaterhouseCoopers, qui avait dévoilé l’optimisation à grande échelle des multinationales par le biais du Grand-Duché. Mais, en mars, il était rejugé en appel pour s’être approprié des documents internes.
Dans le projet de directive que Le Monde a pu consulter, la Commission explique vouloir encourager les potentiels lanceurs d’alerte à rapporter les faits, ou leurs soupçons, alors que, bien souvent, ils sont tentés de se taire, de peur des représailles.
Un coût du silence considérable
Or le coût de ce silence, pour l’UE, serait considérable : entre 5,8 milliards et 9,6 milliards d’euros annuels de manque à gagner rien que pour les faits de corruption non dénoncés dans les marchés publics, selon une étude menée pour la Commission en 2017.
Cette dernière a retenu une définition très large du lanceur d’alerte : peut-être considéré comme tel, et doit donc bénéficier d’une protection spéciale, tout « travailleur » pour une entreprise privée ou une administration. Sont également concernés les travailleurs à temps partiel dans des sociétés d’intérim, mais aussi les cadres qui peuvent être victimes d’intimidations ou de harcèlement.
Bruxelles considère même qu’une personne en processus de recrutement, tout comme un volontaire ou un stagiaire, doivent pouvoir être protégés. La protection et l’assistance doivent aussi être fournies aux personnes qui rapportent des informations à propos d’une potentielle infraction, même si elle n’est pas encore effective, mais risque d’avoir lieu. Ou même s’ils ne détiennent pas de preuves irréfutables, mais nourrissent des soupçons sérieux.
Les infractions retenues sont les violations ou violations potentielles à la loi européenne dans à peu près tous les domaines : appels d’offres, services financiers, blanchiment d’argent et financement du terrorisme, sécurité alimentaire, protection de l’environnement, sécurité nucléaire, protection des données privées…
Chaque entité publique, chaque entreprise ou entité de plus de 50 salariés ou plus de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires doit mettre en place une structure interne chargée de recueillir les témoignages, assurant la confidentialité la plus stricte. Le recueil des signalements à une structure externe à l’entreprise ou à l’administration doit aussi être possible.
« Une réelle percée »
Le projet de directive interdit toute forme de rétorsion : licenciement, refus d’une promotion, blâme, harcèlement, ostracisme sur le lieu de travail, etc. Les pays doivent par ailleurs appliquer des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives » à l’encontre des entreprises ou des directions d’administrations qui pénalisent quand même les lanceurs d’alerte.
« Ce texte représente une réelle percée pour la protection des lanceurs d’alerte dans l’Union », s’est félicité le député européen (Les Verts) Sven Giegold, très actif à Strasbourg dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. L’Allemand regrette néanmoins que la Commission n’ait pas prévu que ceux qui dénoncent les infractions au détachement des travailleurs ou l’évasion fiscale des super-riches soient aussi protégés. Il aurait aussi souhaité un fonds pour dédommager les lanceurs d’alerte.
Effective depuis le 1er janvier, la loi Sapin 2 « relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique » propose déjà un cadre sécurisant. La directive apportera des garanties supplémentaires, couvrant toutes les infractions, non seulement au droit hexagonal, mais aussi au droit européen. Pour voir le jour, elle doit cependant passer la barre du Parlement européen, mais surtout du Conseil (les Etats membres), ce qui n’a rien d’évident.
« L’enjeu, c’est d’arriver à boucler son adoption avant la fin de la législature et les élections européennes de mai 2019 », souligne la Française Virginie Rozière, députée européenne PRG, chargée d’un rapport d’initiative du Parlement de Strasbourg sur les lanceurs d’alerte, adopté en 2017.