Emmanuel Faber, PDG de Danone : « Nous mettons fin au mode de décision pyramidal »
Emmanuel Faber, PDG de Danone : « Nous mettons fin au mode de décision pyramidal »
Propos recueillis par Laurence Girard, Dominique Gallois
« Le projet “Une personne, une voix, une action” va donner le pouvoir à nos équipes d’aller chercher l’avenir », estime le PDG du groupe agroalimentaire.
Le PDG de Danone, Emmanuel Faber, le 16 février, à Paris. / PATRICK KOVARIK / AFP
A l’occasion de l’assemblée générale (AG) des actionnaires de Danone, réunie jeudi 26 avril, le PDG, Emmanuel Faber, a présenté son projet « Une personne, une voix, une action », destiné à faire participer les 100 000 salariés du groupe agroalimentaire aux choix stratégiques à l’horizon 2030.
Quelles sont les raisons qui vous poussent à faire évoluer votre gouvernance ?
Il faut repartir de la vision que nous avons du métier de l’alimentaire. Nous sommes au bout d’un modèle. Toute une génération, pendant des décennies, a fait confiance aux grandes marques pour apporter plaisir, sécurité et santé. Ce postulat est remis en cause. A la confiance s’est substituée la défiance face aux grands groupes, largement partagée par la génération des millennials, ces jeunes entre 18 et 35 ans. Ils ont une puissance de création de normes sociales étonnante.
Face à cette révolution, on peut résister ou prendre la vague. [En 2017], en lançant « One Planet. One Health », nous nous sommes engagés à favoriser des habitudes de consommation plus saines et plus durables. Nous allons plus loin avec une vision de long terme à l’horizon 2030 autour d’objectifs stratégiques reliés à ceux du développement durable de l’Organisation des Nations unies, auxquels nous voulons associer tous les salariés de Danone dans le monde.
Quelles seront les modalités ?
Nous avons fixé neuf objectifs interdépendants les uns des autres. Trois liés à notre modèle d’entreprise, trois à notre modèle de marque et trois à notre manière de travailler. Etre certifié B Corp [à savoir, être une société associant but lucratif et intérêt général] fait partie de ces objectifs à l’horizon 2030. Nos filiales aux Etats-Unis et au Canada viennent d’obtenir cette certification. La nouvelle gouvernance sera un acte fondateur de cette démarche. Le programme « Une personne, une voix, une action » va donner le pouvoir à nos équipes d’aller chercher l’avenir, d’en détenir les clés avec nous.
Dans les douze mois qui viennent, les salariés exprimeront leur point de vue. L’innovation est d’accepter de construire l’agenda 2020-2030, de poser les curseurs, à partir de la voix de chacun. Nous organisons nos propres états généraux de l’alimentation, dont les conclusions seront présentées lors de l’assemblée générale 2019. Avant l’AG, chaque salarié recevra une action de Danone, qui lui donnera droit à toucher un dividende que nous multiplierons.
Quel sera le multiplicateur sachant que le dividende s’élève à 1,90 euro ?
Il n’est pas encore fixé, mais le coefficient ne sera pas symbolique. Mais, au-delà, en rendant tous les salariés coactionnaires de l’entreprise, nous mettons fin au mode de décision pyramidal, où les choix venus d’en haut ne correspondaient pas forcément à la situation ou aux besoins locaux. Grace à leurs propositions, nous pourrons adapter nos objectifs à la réalité.
Renforcer la présence des salariés au capital n’est-il pas aussi un moyen de se protéger d’une offre publique d’achat ? En outre, avez-vous eu des contacts avec le fonds activiste américain Corvex ?
Non, ce n’est pas l’objet, car leur participation sera limitée par rapport au nombre de titres en circulation. Concernant Corvex, nous n’avons jamais confirmé sa présence au capital de Danone, et je n’ai pas rencontré ses représentants.
Ne craignez-vous pas une réaction négative de la Bourse, où les investisseurs préfèrent le court terme et la rentabilité au progrès social ?
Ils ne vont pas être surpris. Voilà cinq ans que nous leur parlons de la révolution de l’alimentation. Ils savent que nous sommes face à deux choix : soit rester en l’état, soit aller dans le sens de l’histoire en conciliant croissance économique et progrès social. Dans le premier cas, nous pouvons augmenter nos ventes à court terme en coupant les coûts et doubler notre cash-flow [trésorerie], mais cela ne durera qu’un temps. C’est la solution la plus risquée. L’autre voie que nous avons choisie privilégie le long terme. La fixation d’objectifs, s’ils sont clairs, n’est plus un élément différenciant. La question est celle de l’engagement des salariés. Or, quand vous expliquez aux salariés qu’ils vont bénéficier d’un dividende multiplié, cela ne peut que renforcer leur engagement.
Avez-vous déjà eu des signes concrets de leur soutien à votre politique ?
Depuis un an, avec nos acquisitions américaines, Walmart, le plus grand groupe de distribution au monde, est devenu le premier client de Danone aux Etats-Unis. Or son patron a souligné devant nos investisseurs l’importance dans ses choix d’avoir des produits B Corp. Voici deux mois, nous avons emprunté 2 milliards d’euros auprès d’un syndicat de douze grandes banques internationales. Le taux d’intérêt est dégressif, il se réduira au fur et à mesure que nos filiales obtiendront cette certification. C’est une première.
Enfin, en mars, nous avons lancé notre première social bond. Cette émission obligataire de 300 millions d’euros destinée à des projets à impact social positif, malgré un taux faible de 1 %, a été souscrite rapidement. Il faut donc arrêter de dire que la finance est menée par les mathématiques. Quand les projets ont du sens, les gens sont prêts à s’engager.
Estimez-vous que le projet de loi « plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises » (Pacte) va permettre d’intégrer cette évolution ?
En novembre 2016, avec plusieurs autres chefs d’entreprise, nous avions appelé, dans une tribune publiée dans Le Monde, à ce que la France se réconcilie avec les entreprises. C’est l’esprit du projet de loi Pacte. En préambule, il est indispensable d’inscrire dans le code civil, qui est le code source de la société française, son ADN, le rôle que nous voulons donner à l’économie. C’est-à-dire, comment, ensemble, nous voulons prendre soin de notre domaine commun. D’où l’importance de souligner que l’objectif final d’une entreprise est social et sociétal. C’est politiquement important, aujourd’hui, pour continuer à transformer la société française et l’emmener.
Mais, pour que la future loi soit efficace, il faudrait réduire les contraintes. Au fil des ans, les dispositifs juridiques se sont empilés, auxquels se sont ajoutées les transpositions de directives européennes. Il faut simplifier les procédures pour les grandes entreprises. J’attends avec impatience de voir si les articles de la loi iront en ce sens.