L’attaquant grec Konstantinos Mitroglou face à Montpellier le 8 avril au stade Vélodrome de Marseille. REUTERS/Philippe Laurenson / PHILIPPE LAURENSON / REUTERS

Les Grecs diraient « thrassos ». Un concept difficile à traduire, fait à la fois d’insolence, de refus des règles mais surtout d’une détermination sans faille, d’une audace qui ne cède jamais à la peur. « Thrassos, explique Yannis Davvetas, Athénien, francophone et dingue de foot, c’est vraiment le mot qu’on colle ici à Kostas Mitroglou. Cette capacité à aller au bout des choses sans se soucier des convenances, un peu comme de la rage de réussir. »

Est-ce le « thrassos » qui porte actuellement Konstantinos Mitroglou ? A Marseille, l’avant-centre de l’équipe de Grèce vient d’empiler neuf buts en huit matches. Un ratio plus impressionnant encore si on le rapporte au temps réellement passé par l’attaquant de l’OM sur les pelouses. Après son doublé contre Lille (5-1), samedi 21 avril dans un stade Vélodrome grondant de bonheur, la statistique éditée par le cabinet spécialisé Opta a couru les réseaux sociaux : en Ligue 1 en 2018, Kostas Mitroglou marque un but toutes les 27 minutes de jeu, soit la meilleure fréquence d’un attaquant dans les cinq grands championnats européens.

Le Vélodrome, que l’on annonce incandescent jeudi soir, espère que sa confiance retrouvée le fera marquer face au RB Salzbourg, en demi-finale aller de la Ligue Europa. Dans les rues de Marseille, sa barbe taillée façon Darius 1er n’a pas encore colonisé les foules. Il n’a pas, non plus, un chant à sa gloire comme le Brésilien Luiz Gustavo, idole locale. Mais l’attaquant, hué par le stade Vélodrome après ses premières prestations - comme avant lui Jean-Pierre Papin ou André-Pierre Gignac -, commence à faire taire les moqueurs.

Même l’ancien joueur de l’OM Christophe Dugarry, qui le conspuait depuis le début de saison, a dû concéder un semblant de mea-culpa à l’antenne de son émission quotidienne sur RMC : « Je n’aime pas ce joueur, il n’est pas mobile, il a des qualités très limites (…) mais il a réussi à se rendre utile à son équipe. Ce garçon a gagné mon respect et c’est déjà beaucoup » a consenti le champion du monde 1998.

« Série de malentendus »

« En Grèce, nous savons tous que le dribble n’est pas la qualité première de Kostas. Mais si vous lui donnez un bon ballon dans la surface, c’est but », résume Dimitris Samolis, journaliste du média sportif Sport24, qui suit pas à pas la carrière du joueur. « Le personnage est un peu culte ici… », complète Yannis Davvetas, qui se rappelle qu’en 2012 l’image d’un Mitroglou sur une mobylette cabrée avait servi de symbole à un mouvement satirique dénonçant la crise économique.

A Marseille, l’odyssée de Kostas Mitroglou a failli s’abîmer dès le début 2018. Le 7 janvier, tête baissée, visage encore plus fermé qu’à l’habitude, le Grec sort sous les huées du public du stade Vélodrome à la 59e minute d’un douloureux 32e de finale de coupe de France contre Valenciennes (1-0). Ce soir-là, Kostas a été transparent face à une des plus mauvaises défenses de Ligue 2. Et l’entraîneur marseillais Rudi Garcia, sûrement agacé du rendement de l’attaquant, abrège son errance sans état d’âme. Tout semble alors réuni pour que le joueur rejoigne le lot des attaquants fantômes dont les noms – Mendoza, Calandria, Cravens… - font toujours rire les supporteurs olympiens. La rumeur évoque un prêt. Le club dément.

L’attaquant grec Konstantinos Mitroglou face à Montpellier le 8 avril au stade Vélodrome de Marseille. REUTERS/Philippe Laurenson / PHILIPPE LAURENSON / REUTERS

« Je me suis dit : “c’est mort, il ne va pas s’en remettre” », en tremble encore Anthony Ferrer. Abonné à l’OM depuis 1999, ce fan cache derrière un patronyme espagnol une ascendance hellène et une passion indéfectible pour l’ancien joueur d’Olympiakos. A chaque match depuis l’arrivée de Mitroglou, cet infirmier libéral de 29 ans s’installe au bas de la tribune Ganay, au plus près de la pelouse, avec son drapeau grec. « C’est le premier Grec à porter le maillot de l’OM, je veux qu’il me voie, qu’il sente que des Marseillais le soutiennent », poursuit-il.

Dès qu’il le peut, l’infirmier se rend au centre d’entraînement de la Commanderie pour échanger quelques mots avec l’attaquant, qui a fini par lui offrir son maillot. « Ça n’a pas toujours été facile, concède Anthony Ferrer. J’étais le dernier à y croire, le seul… Mes copains me chambraient. » Pour l’infirmier, les mauvais débuts du buteur grec sont la conséquence des conditions de son arrivée. « Une série de malentendus sur le fond comme sur la forme », pointe-t-il.

« J’ai une vie tranquille, je fais la cuisine pour ma famille. »

L’analyse peut être retenue. Quand, le 31 août 2017, à la clôture du marché des transferts, l’Olympique de Marseille annonce la signature pour quatre ans de Konstantinos Mitroglou, les supporteurs tombent de haut : tout l’été, on leur a promis « un grand attaquant ». Les noms de Sergio Agüero ou Olivier Giroud ont circulé. Les médias parlent de « panic buy », un achat insatisfaisant et coûteux (15 millions d’euros) de dernière minute.

Autre sujet d’incompréhension, Marseille, qui n’oublie pas qu’elle a été fondée par des marins grecs, s’attend à accueillir un Méditerranéen, volubile et expansif. Elle se retrouve avec un joueur taiseux, qui se méfie des médias et préfère s’exprimer en allemand, la langue de son enfance passée à Neukirchen dans la banlieue de Duisbourg, où ses parents émigrent après sa naissance.

Dans l’une de ses rares interviews, accordée au journal L’Equipe le 11 avril, Kostas Mitroglou se livre peu : « Je suis toujours réservé. (…) J’ai une vie tranquille, je fais la cuisine pour ma famille. Ce qui m’intéresse, c’est de faire mon boulot pour aider mon équipe. Je ne me mets pas en tête d’être le sauveur ». Le joueur donne toutefois les raisons qui, selon lui, expliquent ses quatre mois difficiles : « Je suis arrivé blessé sans avoir fait de préparation dans un nouveau pays, dans un nouveau championnat. Ça peut paraître long mais pour moi, c’est normal. »

OM - Lille (5-1) | Le résumé vidéo
Durée : 02:59

Son retour en forme témoigne en tout cas d’un OM qui vit mieux. Du président à l’entraîneur, en passant par ses coéquipiers, le « cas Mitro » n’a, malgré la mauvaise passe de l’automne, provoqué aucune polémique publique. Même si, dans certaines têtes, sa maladresse a forcément agacé. « On croit beaucoup en lui », répétait encore début mars, le directeur sportif Andoni Zubizarreta. « On a tous voulu aider Kostas, soulignait Dimitri Payet, vendredi 20 avril. C’est un membre important de l’équipe. (…) On savait de quoi il était capable. » Le meneur de jeu de l’OM a joint le geste à la parole, le lendemain, en lui offrant son deuxième but lors de la raclée infligée à Lille (5-1). A l’OM, le Grec échange aussi avec Luiz Gustavo et Hiroki Sakai, deux autres nomades du foot, qui, comme lui, parlent allemand. « Kostas ne se fait pas d’ennemis dans un vestiaire. Il n’est pas très liant au premier abord mais il ne critique personne », assure le journaliste Dimitris Samolis.

A 30 ans, Mitroglou n’est plus le joueur incontrôlable qu’Ernesto Valverde, actuel entraîneur du FC Barcelone, avait mis au ban d’Olympiakos en 2008 pour avoir tiré – et raté – un penalty décisif pour la qualification en Ligue des champions contre l’avis du coach. Sa carrière avait alors déraillé quelques années – prêts dans des clubs grecs de seconde zone, puis échec à Fulham, en Angleterre – avant de rebondir de façon spectaculaire au Benfica Lisbonne (52 buts en deux saisons).

« Kostas est venu à Marseille parce qu’il sait que l’OM est un très grand club et qu’il veut toujours prouver quelque chose dans le football européen », dit Dimitris Samolis. Il lui faudrait pour cela briller enfin en Ligue Europa, seule compétition qui résiste encore à son sens du but.