« Nous, les intranquilles » : jeu de miroirs entre la société et les « fous »
« Nous, les intranquilles » : jeu de miroirs entre la société et les « fous »
Par Clarisse Fabre
Nicolas Contant a donné une caméra à des patients du centre Antonin-Artaud, à Reims.
Le documentaire se réinvente sans cesse, parfois en allant puiser à la source. Nicolas Contant est un jeune réalisateur de 38 ans, qui a d’abord été directeur de la photographie. A la manière de Chris Marker qui avait impulsé les groupes Medvedkine dans les années 1960, au sein desquels les ouvriers filmaient leurs conditions de travail et les occupations d’usines, le trentenaire a invité des patients d’un centre psychothérapeutique à s’emparer de la caméra et à fabriquer un film, avec lui. Voilà pour résumer le dispositif de Nous, les intranquilles, réalisé par Nicolas Contant et le Groupe cinéma du centre Artaud.
Situé à Reims, le centre d’accueil psychothérapeutique Antonin-Artaud expérimente un mode de relation non hiérarchique entre patients et soignants, dans l’esprit de la clinique de La Borde, fondée en 1953 par Jean Oury : celle-ci fut immortalisée dans le documentaire de Nicolas Philibert, La Moindre des choses (1996), le titre renvoyant au film magique de Fernand Deligny, Le Moindre Geste (1971), tourné dans les Cévennes avec des enfants autistes…
Nous, les intranquilles s’inscrit dans cette histoire de la « psychothérapie institutionnelle », qui vise à inventer autre chose que des lieux d’enfermement. Nicolas Contant a confié aux patients le soin de se filmer eux-mêmes, plutôt que de « prendre », seul, des images. Puis le montage s’est fait à plusieurs, et longuement, autour de la table du centre Artaud. Le parti pris était risqué, mais il se révèle juste sur un plan éthique, l’intimité ainsi dévoilée à l’écran échappant au voyeurisme. Une femme explique que, pour sa famille, il aurait mieux valu qu’elle soit atteinte d’une « vraie » maladie, comme un cancer : sa situation aurait alors suscité de la compassion, dit-elle, alors que le trouble mental, la paranoïa, etc., créent le malaise.
Paysage coloré, étrange, morcelé
Esthétiquement, le documentaire prend la forme d’un kaléidoscope dans un subtil jeu de miroirs entre la société et ceux qu’on appelle les « fous » : le paysage qui nous est donné à voir est coloré, étrange, morcelé. Un patient montre son visage en y superposant d’autres images, un autre intègre des sons qui lui emplissent la tête. D’autres se filment dans leur quotidien, à défricher le jardin, à régler des problèmes en réunion ou à partager la corvée de vaisselle. Le spectateur est aussi interpellé : ça veut dire quoi être fou ? « La folie de la société, c’est la caissière avec son contrat de vingt heures, payée 600 euros, qui a du mal à aller chercher ses enfants… », affirme l’un des participants. « Je suis miroir, la folie des autres, c’est sa propre folie qu’on ne veut pas voir », clame un autre protagoniste.
« Umut, Sébastien, Monique, Matthieu, Faustine… » : lors du générique, on entend la voix de Nicolas Contant qui énumère les noms des patients du centre Artaud. L’un d’eux prend la parole et explique qu’il faut ajouter « l’équipe technique ». Par ce geste final, les auteurs rappellent une évidence trop souvent négligée : le cinéma est une œuvre collective, qui ne se réduit pas au seul réalisateur.
Documentaire de Nicolas Contant et du Groupe cinéma du centre Artaud (83 minutes). Sur le web : www.facebook.com/nouslesintranquilles, www.sanosi-productions.com/projet/nous-les-intranquilles