« Lost Children ». / © Tomomi Sumiyama

Dans le royaume de Shardao, où Yuri et Ran sont nés, rien ne prédisposait ces deux enfants à se lier d’amitié. Ces deux frères de cœur appartiennent à des castes opposées : Ran est gathiya, population réduite à la misère et aux brimades. Yuri est le fils borgne et solitaire d’un joaillier achra, la classe privilégiée. Leur amitié indéfectible survit à leur séparation sur laquelle ouvre Lost Children, première série de la mangaka Tomomi Sumiyama. Tandis que Yuri est chargé du culte dans un village traditionnel de montagne, Ran s’est engagé comme combattant auprès de la rébellion gathiya pour parcourir le royaume et espérer retrouver son ami.

« Lost Children ». / © Tomomi Sumiyama

Bien qu’il ne fasse que poser les prémices de cette quête et quelques éléments du passé des héros, ce premier tome laisse entrevoir beaucoup de promesses. Plusieurs mystères auréolent ces deux enfants devenus des adolescents secrets et taciturnes : qu’ont-ils vécu pour être aussi proches ? Pourquoi occupent-ils ces fonctions cinq ans après leur séparation ? Comment s’expliquent les mutilations que porte Yuri et la rancœur de Ran ? Sauront-ils continuer à dépasser leur appartenance sociale pour rester unis ?

Une intrigue relativement classique, toutefois portée par un environnement et un contexte bien construits et détaillés. Tomomi Sumiyama s’inspire de différents pays d’Asie pour établir les décors et la structure politique et religieuse du royaume de Shardao. L’Inde a par exemple illustré le système de castes et le Bhoutan a marqué la mangaka pour la concentration des pouvoirs religieux et politiques dans les forteresses Dzong. La rébellion maoïste népalaise et la guerre du Vietnam lui ont fourni des exemples pour le quotidien des rebelles et les batailles contre le pouvoir autoritaire dans sa série.

« Lost Children ». / © Tomomi Sumiyama

Toutes ces influences offrent au final un manga riche en décors et en costumes traditionnels recherchés, qui donnent encore plus de crédibilité à cette société inique et au vécu des personnages. Ces derniers paraissent d’autant plus aboutis que la dessinatrice leur prête, même s’ils restent en arrière-plan, des traits fins, uniques et très expressifs. L’auteur n’hésite pas non plus à recourir au réalisme et à une dramaturgie calibrée pour mettre en lumière la cruauté de la vie et de la guerre.

L’année dernière, au moment où l’auteure, ancienne designer graphique dans un studio de jeux vidéo, songeait à se lancer dans le manga, le Japon était en proie à de vifs débats autour de la révision de sa Constitution pour revenir sur le caractère pacifiste du pays. Tomomi Sumiyama se passionne alors pour les questions philosophiques sociales ; celles-ci abreuvent sa série et les questionnements de ses deux héros.

Lost Children, de Tomomi Sumiyama, traduction d’Anne-Sophie Thévenon, tome I le 3 mai, éditions Ki-oon, 192 pages, 7,90 euros.

« Lost Children ». / © Tomomi Sumiyama