Cannes 2018 : « Wildlife », le tableau d’une Amérique pas si « wild »
Cannes 2018 : « Wildlife », le tableau d’une Amérique pas si « wild »
Par Clarisse Fabre
En ouverture de la Semaine de la critique, le film de Paul Dano relate l’émancipation d’une femme (Carey Mulligan) dans l’Amérique du début des années 1960.
Wildlife, le film d’ouverture de la Semaine de la critique, de l’acteur américain Paul Dano, est d’abord une chronique du couple qui vacille, thématique « forte » de l’édition cannoise 2018. Ce premier long-métrage est ensuite une histoire étonnante, celle de l’émancipation d’une femme dans l’Amérique du tout début des années 1960 : Jeannette, interprétée par Carey Mulligan, se met à travailler alors que son mari joueur de golf (Jake Gyllenhaal) a perdu son travail et ne s’en remet pas. Dès lors, plus rien ne sera comme avant.
« Je sens que je dois me réveiller », confie la mère à Joe, son fils unique de 14 ans – Ed Oxenbould, révélé dans The Visit (2015), du réalisateur d’origine indienne M. Night Shyamalan. Devant un adolescent sensible qui absorbe tout comme une éponge, les parents déballent leurs déboires. Le drame conjugal est vécu par le trio, installant une tension psychologique un peu malsaine. Joe pourrait mal tourner. C’est le contraire qui se produit. Quand le père s’en va et que la mère, traversée par ses propres turbulences amoureuses, n’est plus le point d’ancrage qu’elle était, c’est lui qui devient l’homme de la maison.
Petits bouts de rêve américain
Wildlife est le tableau d’une Amérique mélancolique, qui endure sa peine, rêve d’élevation sociale et attend son tour. Le scénario a été coécrit par Paul Dano et Zoe Kazan – actrice, dramaturge, productrice, elle est aussi la compagne de Paul Dano et la petite-fille d’Elia Kazan – à partir du roman de Richard Ford, Une saison ardente (L’Olivier, 1991). Les images de « diners », de maisons en bois, d’échoppes désertes se succèdent comme autant de clins d’œil à Edward Hopper (1882-1967), peintre du réalisme américain et des classes moyennes. Est-ce cette référence, très présente, qui finit par figer un peu le film ? Le cadre est soigné, l’image propre, surtout lorsqu’il s’agit de mettre en scène les parents, d’anciens beaux gosses qui espèrent toujours atteindre leur rêve.
Joe, le fils au physique plutôt ingrat, qui assume ne pas aimer le foot et voit tout se déliter autour de lui, a compris qu’il n’y a plus de voie tracée. Il y a donc matière à flotter. C’est avec lui que le film trouve ses moments de poésie, lorsque le gamin s’échappe après les cours avec sa copine, et se construit jour après jour sans véritable modèle parental. Détail jubilatoire de l’histoire, pour gagner un peu d’argent, Joe est employé dans un studio de photo où il immortalise des petits bouts de rêve américain : un mariage, une famille endimanchée, etc. L’illusion se fige sur les clichés. Ce qui compte, c’est le moment, lui explique son vieux patron. Alors, quand le film touche à sa fin et paraît s’enfoncer dans un mauvais mélo, c’est Joe qui démêle le scénario en tirant un portrait, comme on tire les ficelles.
WILDLIFE avec Carey Mulligan et Jake Gyllenhaal (Cannes, 2018)
Durée : 01:22
Film américain de Paul Dano. Avec Carey Mulligan, Ed Oxenbould et Jake Gyllenhaal (1 h 44). Sur le Web : www.semainedelacritique.com/fr/edition/2018/film/wildlife