« Run » de Joseph Garbaccio lors du FISE 2017 de Montpellier. / CEDRICDERODOT/FISE

Pour vivre heureux, vivons cachés. Telle est la maxime des skateurs, fidèles à la morale du Grillon de Florian et au skateboard mythique, né dans les piscines asséchées de LA au début des années 1960. Depuis, ils font crisser leur planche de trottoirs en rampes d’escaliers, indifférents aux modes, aux générations, aux populations… Jusqu’à ce jour d’août 2016 où le Comité international olympique (CIO) a intégré le skate au programme des Jeux de Tokyo 2020. Adieu la marginalité, bonjour « le rayonnement de la nation et la promotion des valeurs du sport » (article L221-1 du code du sport). De quoi rebuter les plus idéalistes, qui firent alors scission, laissant les compétiteurs papillonner seuls autour de la flamme olympique. Partisans des deux camps s’expliquent aujourd’hui à l’occasion du Festival international des sports extrêmes (FISE) qui se tient à Montpellier, dans l’Hérault, du 9 au 13 mai.

Présenté par ses condisciples comme le leadeur des « anti », Victor Pellegrin, 27 ans, soigne sa réputation. Au Monde jugé trop institutionnel, il ne répondra que par textos. Les JO ? « On passe déjà pour des tocards à cause de ça… » Pourquoi ? « Le skateboard est né dans la rue et doit rester dans la rue. Les gens n’ont pas à savoir. (…) Je me bats pour que le skateboard ne touche aucune personne qui n’a rien à voir avec nous », écrit-il, le 3 mai, d’Italie, où il tourne une vidéo.

« On a beaucoup de mal à laisser rentrer dans notre monde des gens qui ne sont pas de notre milieu. Notre histoire nous est propre. Personne ne peut s’approprier notre sport alternatif », confirme Jérémy Grynblat, 31 ans, agent de skateurs. S’enchaîner aux anneaux olympiques, jamais !

Pétition

« Nous ne voulons pas que le skateboard soit exploité et transformé pour entrer dans le programme olympique », précise la pétition diffusée par Care2, un site spécialisé qui a reçu près de 8 000 signatures. « Le skate ne peut pas être une compétition, il n’y a pas un vainqueur et un perdant, mais deux personnes qui partagent du plaisir ensemble », peut-on lire. Une levée de boucliers qui rappelle les combats partagés. Accusés de dégrader le mobilier urbain, de fumer des joints, les jeunes adeptes peuvent recevoir des seaux d’eau sur la tête ou se faire courser par des vigiles. Blessée, rejetée, la communauté se soude autour de ses codes, ses références, comme Thrasher – faire la « une » du magazine américain vaut plus que toutes les médailles olympiques.

« Les Jeux, on n’a pas eu le choix, rétorque Jérémy Grynblat. Cela a été imposé par le CIO. » Ce que confirme Nicolas Belloir, vice-président du Cnosf et président de la Fédération française de roller et skate depuis 2005. Le CIO et le comité olympique japonais ont voulu cinq disciplines additionnelles « plus jeunes, plus funs, plus urbaines », pour coller aux évolutions de la société et rajeunir son image.

Avec seulement 2 500 licenciés, le skateboard a ainsi été préféré au roller. « Le skateboard se pratique de façon libre et autonome », explique M. Belloir, qui estime à 500 000 le nombre d’amateurs d’un des 3 000 skatepark de l’Hexagone. Ce qui n’a rien d’incompatible avec le développement d’un secteur compétition, comme en ski, en vélo, etc.

Joseph Garbaccio | 1st Skateboard Street Pro Final - FISE Jeddah 2018
Durée : 01:16

« Juger, c’est compliqué »

Deux branches du skateboard ont été retenues par le CIO : le Street, skate de rue, et le Bowl aménagé – dans une sorte de piscine sans eau à rebords.

Plutôt que de se braquer, Jérémy Grynblat a décidé de s’investir dans le projet olympique. « Quand les JO sont tombés, Florent Balesta [sélectionneur national] s’est tourné vers des gens comme moi, pour crédibiliser la compétition. » Ex-snowboarder professionnel (1996-2004), devenu team manager, tout en réalisant des vidéos, Greg Poissonnier a également été recruté, en 2017, comme responsable de la communication de la FFRS en 2017. A 45 ans, il souhaite renvoyer au monde la vraie image du skate, celle de toutes les mixités, sociale, générationnelle, hommes-femmes ; de toutes les spécificités aussi. « Le skate park n’est pas un gymnase ou un stade de foot, on n’y va pas le mercredi après-midi de 14 heures à 16 heures. On y va lorsqu’on en a envie. »

Difficile, dans ces conditions, de structurer une pratique allergique par essence à toute règle. D’autant que très vite, l’équipe se heurte à un des arguments des pétitionnaires : « Personne ne peut juger le skate. » « Juger, c’est compliqué », confirme Jérémy Grynblat, par ailleurs, juge. Chaque compétiteur a une minute pour effectuer son run, une combinaison libre – le combo – de figures, dont la base est le ollie, le saut de la planche en retombant dessus, qui se complique en flip si en sautant la planche effectue un tour complet sur elle-même. Chacun a son style, par nature subjectif. « On est sûr de l’humain, note Nicolas Belloir, il peut toujours y avoir une erreur. »

Joseph Garbaccio, prêt pour Tokyo 2020. / FISE

Joseph Garbaccio, 20 ans, n’a ainsi pas bien compris pourquoi il a terminé 2e des derniers championnats de France, derrière Amélien Giraud, alors que ce dernier a chuté, ce qui, en théorie, est rédhibitoire pour la victoire. L’explication vient de M. Grynblat. De nouveaux critères internationaux viennent d’être imposés selon quatre critères : la prise de risques, la réalisation, l’amplitude et la technicité. Joseph Garbaccio va devoir laisser libre cours à son « explosivité » pour aller à Tokyo. Le jeune Havrais en rêve : « ne serait-ce qu’une fois, pour échanger avec les autres sportifs internationaux. »

Réconciliation ?

La Fédération internationale World Skate a précisé le 25 avril que 80 skateurs iront au Japon : 20 hommes et 20 femmes dans chacune des deux disciplines. La tâche ne va pas être simple pour les Français, face à des Etats-Unis dominateurs, bien que les forces commencent à s’équilibrer. Vincent Matheron a ainsi battu deux Américains lors des derniers Internationaux de Nankin fin avril. « Une quinzaine d’athlètes français ont des chances réelles de médaille », estime Nicolas Belloir.

Première étape, la sélection. Selon la World Skate, elle s’effectuera en fonction du classement général World Skate mondial et du nombre de points marqués entre le 1er janvier 2019 et le 31 mai 2020, par exemple, lors de la Vans Park Series (VPS) de Paris, en septembre 2019. Le FISE a également « vocation à servir de qualification pour les Jeux de 2020 », selon Nicolas Belloir.

La VPS, le FISE… Apôtre de la réconciliation, Greg Poissonnier ne veut voir dans les Jeux olympiques qu’une compétition supplémentaire. Jérémy Grynblat va plus loin : « Nous sommes tous contents de ce que nous avons montré en compétition, mais il faut bien voir que cela reste une petite partie du skateboard mondial. Le skate, c’est la liberté, les potes. » Finaliste du FISE 2015, Victor Pellegrin ne va pas le contredire. Fédérateur malgré lui, il confiait d’ailleurs en privé qu’il sera le premier à venir encourager ses « potes » aux Jeux.

1st Final Skate - Victor Pellegrin - FISE World Montpellier 2015
Durée : 01:15

FISE Montpellier à suivre sur SFR Sport 4, huit heures de live chaque jour pendant cinq jours sur SFR Sport4.