Saint-Gobain renonce à prendre le contrôle du suisse Sika
Saint-Gobain renonce à prendre le contrôle du suisse Sika
LE MONDE ECONOMIE
Après trois années de bataille judiciaire, le groupe français accepte de ne garder que 11 % du chimiste helvète.
Le patron de Saint-Gobain, Pierre-André de Chalendar, lors d’une conférence de presse donnée à l’occasion du 350e anniversaire du groupe, à Paris, en octobre 2015. / ERIC PIERMONT / AFP
Sur le papier, ce devait être l’un des plus jolis coups jamais réalisés par Saint-Gobain. Dans la réalité, la tentative d’achat du groupe suisse Sika, le numéro un mondial de la chimie de la construction, s’était transformée depuis trois ans en une interminable bataille judiciaire.
Face à l’enlisement du projet, la direction de Saint-Gobain a préféré abandonner. Vendredi 11 mai, elle a annoncé un accord dans lequel elle renonce à prendre le contrôle de Sika, et ne garde que 11 % du capital, tout en réalisant une plus-value. « On se sort bien du bourbier », résume le PDG, Pierre-André de Chalendar.
Le patron de Saint-Gobain entend désormais passer à autre chose. Cette affaire réglée, « nous allons accélérer notre politique de petites et moyennes acquisitions », promet-il. Quant à Sika, l’accord prévoit que le groupe français ne peut monter au-delà de ses 11 % pendant quatre ans, puis de 13 % les deux années suivantes. Une offre publique d’achat (OPA) en bonne et due forme serait donc théoriquement possible en 2025.
En revanche, Saint-Gobain peut vendre ses titres au bout de deux ans. « Je ne sais pas si on vendra dans deux ans, ou si on montera plus tard, assure M. Chalendar. Dans l’immédiat, je voudrais développer les coopérations commerciales avec Sika, un peu verrouillées depuis trois ans. »
Tout avait pourtant bien commencé. Le 8 décembre 2014, Saint-Gobain annonçait s’être entendu avec les Burkard, la famille des fondateurs de Sika, pour acheter leurs actions. Un paquet de titres représentant seulement 16 % du capital, mais 52 % des droits de vote. Montant de la transaction : 2,75 milliards de francs suisses (2,5 milliards d’euros). Sans lancer d’OPA, M. de Chalendar espérait ainsi prendre le contrôle de Sika, et intégrer entièrement dans ses comptes ce chimiste suisse affichant un essor rapide et une excellente rentabilité.
« Une énorme victoire pour les actionnaires »
Seulement, le contrat passé avec les Burkard ne fait pas que des heureux. Les autres actionnaires du groupe suisse, à commencer par Bill Gates, y sont hostiles. Faute d’OPA, ils comprennent qu’ils ne réaliseront aucune plus-value, alors que les Burkard, eux, doivent vendre leurs titres 80 % plus cher que leur valeur en Bourse.
Les dirigeants de Sika aussi sont en colère. A leurs yeux, l’intégration de cette pépite dans un grand groupe peu dynamique comme Saint-Gobain a toutes les chances de détruire leur modèle de croissance. Le rapprochement « manque de logique industrielle et serait destructeur de valeur », affirme alors Paul Hälg, le président du conseil d’administration, qui met tout en œuvre pour bloquer l’opération.
Suivent trois ans d’affrontements en justice, durant lesquels Sika poursuit son ascension, tandis que Saint-Gobain reste à la porte. « J’aurais pu continuer à attendre que les différents tribunaux suisses rendent leurs jugements, et j’étais assez confiant », explique M. Chalendar. Mais le temps qui passe incite le PDG à chercher un compromis, car il comprend qu’il aura du mal, même en cas de victoire juridique, à s’entendre avec les dirigeants de Sika, donc à mettre en place les coopérations et synergies visées. En outre, « les marchés n’aiment pas ce type d’incertitudes », souligne-t-il.
L’accord dévoilé vendredi est gagnant pour les Burkard, qui vendent toutes leurs actions à Saint-Gobain pour 3,2 milliards de francs suisses, soit plus que prévu au départ, afin de tenir compte de la hausse du cours de Bourse. Il n’est pas dramatique pour le groupe français. S’il fait une croix sur son grand projet stratégique, c’est dans de bonnes conditions financières. Saint-Gobain revend immédiatement à Sika une partie du paquet acheté aux Burkard. Si bien qu’il investit finalement 950 millions d’euros pour 11 % du capital, et dégage une plus-value de plus de 600 millions d’euros.
Quant au groupe Sika, la fin de la bataille est aussi l’occasion de moderniser la structure de son capital. Il n’y aura désormais plus qu’une catégorie d’actions, ayant toutes les mêmes droits de vote. « C’est une énorme victoire pour les actionnaires, les droits des actionnaires et les principes de bonne gouvernance », s’est réjoui vendredi Michael Larson, le représentant de Bill Gates dans ce dossier.