« Changement ». Le désir de voir un renouvellement de la classe politique et une réforme en profondeur de l’Etat faisait l’unanimité chez les Irakiens appelés aux urnes, samedi 12 mai, pour élire le premier Parlement de l’ère post-Etat islamique. Mais, le jour du scrutin, une minorité des 24,5 millions d’inscrits sur les listes électorales a voulu croire que leur vote puisse concrétiser ces espoirs de changement. Alors que les résultats officiels sont attendus sous 48 heures, les médias irakiens anticipent déjà la participation de loin la plus faible de tous les scrutins qui se sont tenus depuis 2003, et qui avaient mobilisé environ 60 % de l’électorat.

C’est un camouflet pour le premier ministre Haïder Al-Abadi, comme pour l’ensemble de la classe politique, qui n’ont eu de cesse de vouloir incarner pendant la campagne ces espoirs de renouveau. Reste à voir à qui profitera cette faible participation alors que la scène politique apparaît, tant dans le camp chiite que sunnite, plus éclatée que jamais.

Le scrutin s’est déroulé dans de bonnes conditions de sécurité, grâce à des mesures de précaution renforcées. Les menaces d’attaques proférées par l’organisation Etat islamique (EI) à quinze jours du vote ont été peu suivies d’effet. Le groupe a revendiqué une seule attaque au sud de Kirkouk, où trois personnes ont été tuées par l’explosion d’une bombe placée sur leur véhicule.

« Je ne vais pas voter, je regrette même de l’avoir fait avant »

Dans la province de Bagdad, principal enjeu de ce scrutin avec 71 sièges à distribuer sur les 329 que compte le Parlement, la participation a été faible. C’est là que toutes les grandes figures nationales concourraient pour un siège. Le premier ministre Al-Abadi, qui brigue un second mandat à la tête de la coalition multiconfessionnelle Al-Nasr (« Victoire »), a voté tôt, samedi, dans le bureau de vote installé dans l’école Amal, dans le quartier à majorité chiite de Karrada, à quelques pas de sa maison familiale. Peu d’électeurs lui ont emboîté le pas au cours de la journée : environ 1 000 votants sur les 3 600 inscrits de ce bureau se sont présentés, selon les membres locaux de la commission électorale.

La levée du couvre-feu et de l’interdiction faite aux véhicules de circuler dans Bagdad, à la mi-journée, n’a pas eu l’effet mobilisateur escompté. Nombreux ont préféré rester chez eux pour ce jour chômé. « Je ne vais pas voter, je regrette même de l’avoir fait avant. Les gens éduqués n’iront pas, seuls les pauvres vont voter. Il n’y aucun changement à espérer, ce sont les mêmes qui vont garder le pouvoir quoique l’on fasse. Il n’y a pas de nouveaux visages ou très peu », explique Ayad Abdelaziz, un commerçant au chômage de 58 ans. La désaffection est très marquée chez les jeunes. « Ces promesses de campagne sur la fin du confessionnalisme et de la corruption, c’est du blabla. On va avoir les mêmes, qui vont décider pour nous selon leurs intérêts », critique Zoummouroud, une étudiante en médecine de 20 ans.

« On veut des changements, être comme vous en Occident »

La participation a aussi pâti de problèmes relatifs aux cartes de vote électroniques. « Ma carte ne marche pas. Mes informations personnelles ne s’affichent pas donc je ne peux pas voter », déplore Hanane Hassan, une femme au foyer de 28 ans, qui voulait voter pour sa cousine, candidate. Le problème s’est répété de façon récurrente dans l’ensemble des bureaux de Bagdad, ainsi que d’autres provinces du pays. Nombre d’électeurs n’ont pas reçu leur nouvelle carte électorale à temps. Seuls ceux qui l’avaient ou ceux qui se sont présentés avec d’anciennes cartes qu’ils n’avaient pas mises à jour ont pu voter.

Pour le millier d’électeurs qui a déposé un bulletin dans les urnes de l’école Amal, le « changement » s’incarne sous de nombreux visages. Haïfa Jabouri, 65 ans, et sa fille Maha Kamal, 36 ans, ont choisi Haïder Al-Abadi pour, disent-elles, son éducation, son ouverture sur le monde et son charisme. « On veut des changements, être comme vous en Occident, avoir de bonnes écoles. Haïder Al-Abadi est le meilleur, il a déjà fait des réformes et en fera davantage encore », explique Haïfa Jabouri, qui dit sa nostalgie des années 1970, un âge d’or avant l’arrivée au pouvoir de Saddam Hussein.

Hassan Mohamed, un communicant de 25 ans, a fait le même choix. « Je veux la fin des quotas confessionnels dans l’attribution des postes politiques, que mon pays soit indépendant et gouverné par des technocrates », dit-il. « Haïder Al-Abadi incarne le rejet du confessionnalisme et de la corruption, et la bonne gouvernance. Malheureusement, il est entouré de corrompus et n’a pas pu mettre en œuvre ces réformes. »

Une abstention particulièrement élevée dans les bureaux réservés aux déplacés

Les espoirs de Zeinab Mohammed, une femme au foyer de 31 ans, se sont portés sur la coalition non-confessionnelle de l’ancien premier ministre chiite Iyad Al-Allawi. Venue avec des drapeaux irakiens, la petite famille de Saïd Mohamed, un ouvrier de 42 ans, a, elle, voté à l’unisson pour le dignitaire religieux chiite Moqtada Sadr, qui s’est allié avec le Parti communiste au sein de Sa’iroun (« En marche »). Reprenant le slogan du chef populiste - « Nous allons éradiquer les corrompus » -, le père de famille explique : « On veut que les droits des martyrs soient honorés et que nos jeunes diplômés aient du travail. »

La participation n’a pas été plus grande dans le bureau de vote principal du quartier à majorité sunnite de Yarmouk. A la clôture du vote, à 18 heures, seuls 966 électeurs sur les 4 372 inscrits avaient voté. L’abstention a été particulièrement forte dans le bureau réservé aux habitants des régions sunnites déplacés par les combats contre l’Etat islamique. Malgré la faible affluence, Hanna Ahmed, une institutrice de 28 ans, restait optimiste sur la capacité d’apporter le changement par ces élections. « J’ai voté pour un candidat qui travaille au ministère de l’éducation et qui travaille dur pour faire bouger les choses », dit-elle.

Mahmoud Thabet, 54 ans, a pour la première fois amené toute la famille voter pour « son ami », le célèbre footballeur Ahmed Radi. « C’est un homme honnête, il aide les pauvres et les jeunes. Pour nous, c’est trop tard, mais il faut œuvrer pour la nouvelle génération », dit l’homme avec entrain. Plusieurs électeurs ont indiqué avoir porté leur choix sur les candidats soutenus par l’ancien ministre de la défense sunnite, Khaled Al-Obeidi, qui a rejoint la coalition de M. Abadi. « Il est propre et il dit et fait vraiment les choses que l’on attend », explique Mohamed Mustafa, un employé du ministère de l’éducation de 25 ans.

« J’ai donné ma parole à trois candidats différents donc on a réparti les votes »

L’affluence semblait beaucoup grande dans le quartier populaire chiite de Sadr city, où vivent des millions de Baghdadis. Bien qu’étant le bastion traditionnel de Moqtada Sadr, qui y compte beaucoup de partisans, certains électeurs ont jeté leur dévolu sur d’autres personnalités chiites.

L’ancien premier ministre Nouri Al-Maliki (2008-2014) y conserve une certaine popularité. Abbas Jassen, un ouvrier de 23 ans, estime qu’« il a fait de bonnes choses au pouvoir, notamment en matière d’emploi. » Chaker Hamid, un commerçant de 62 ans, « Malikiste de cœur », a dû se plier « aux pressions sociales ». « J’ai donné ma parole à trois candidats différents donc on a réparti les votes : j’ai voté pour Al-Fatih (la coalition emmenée par les milices chiites composant les forces de la mobilisation populaire -MP), ma femme a voté pour M. Maliki et mon fils a voté pour Moqtada Sadr », dit-il, dans un rire.

La coalition Al-Fatih compte, elle aussi, de nombreux partisans dans le quartier, qui ont participé à la lutte contre l’EI au sein des unités de la MP. Rahim Ellawi, un ouvrier de 54 ans, qui a perdu quatre proches dans la MP, estime que « cette coalition nationale a libéré le pays de Daech et va éradiquer la corruption. » Mais, les chefs d’Al-Fatih comptent aussi des déçus dans leurs rangs. « Ils s’en fichent de nous. Ils ont commencé à piller et à s’adonner à la corruption pendant la campagne, sans plus se soucier de nos problèmes », explique, dégoûté Mohammed Hamid, un membre de la MP de 22 ans. C’est à un nouveau venu en politique, un ancien officier qui s’est occupé de lui après sa blessure, fin 2017, qu’il a donné sa voix.