Le procès du djihadiste Jamil Mukulu, un test pour la justice ougandaise
Le procès du djihadiste Jamil Mukulu, un test pour la justice ougandaise
Par Gaël Grilhot (contributeur Le Monde Afrique, Kampala)
Le chef des Forces démocratiques alliées, un groupe islamiste visant à renverser le président Museveni, est accusé de massacres en Ouganda et en RDC.
« Je ne suis pas un meurtrier, ce sont eux. » Dès sa sortie du bus pénitentiaire, lundi 14 mai à Kampala (Ouganda), Jamil Mukulu a donné le ton de sa ligne de défense. Le chef et fondateur, en 1995, de la rébellion islamiste des Forces démocratiques alliées (ADF) semble ne pas avoir abdiqué. Dans la salle de la Haute Cour où se tient son avant-procès, au milieu d’une trentaine de co-accusés menottés, il écoute avec attention, prend des notes et sourit même parfois aux commentaires de la juge. La procédure vise à déterminer si un procès doit se tenir et quelles charges – crimes contre l’humanité ? terrorisme ? – seront retenues.
C’est l’une des premières fois que Jamil Mukulu apparaît publiquement depuis son extradition de Tanzanie, peu après son arrestation, en 2015, en possession d’au moins neuf passeports. Le numéro un des ADF y vivait alors une double vie de revendeur de voitures, tout en continuant, selon les autorités, à diriger l’organisation qu’il avait fondée vingt ans auparavant.
Absence de preuves recevables
Né chrétien, Jamil Mukulu s’est converti à l’islam dans les années 1980, choisissant de suivre la voie du Tabligh, une branche rigoriste d’origine indienne bien implantée en Ouganda. Après une formation théologique au Pakistan et au Soudan, il revient à la fin des années 1980 et s’engage politiquement, dénonçant la marginalisation dont font preuve à ses yeux les musulmans. Emprisonné au début des années 1990, il est libéré en 1995, rejoint ses compagnons et fonde les ADF avec pour objectif de renverser le régime du président Yoweri Museveni.
Son organisation sera accusée de multiples exactions commises dans l’ouest de l’Ouganda, dont l’attaque du lycée technique de Kichwamba, à la frontière avec la République démocratique du Congo (RDC), qui a fait plusieurs dizaines de tués. Les ADF sont finalement chassés par l’armée ougandaise et se réfugient dans l’est de la RDC, où ils ont été – et sont toujours – accusés de massacres et d’enlèvements de civils.
Le dossier est lourd, mais pour qu’il y ait procès, en droit anglo-saxon, il faut qu’il y ait des preuves recevables. Et lors de la première audience de cet avant-procès, l’accusation n’a pas été en mesure de fournir les siennes. Elle a demandé un report de quinze jours afin d’examiner de nouveaux éléments arrivés récemment de Tanzanie, ce qui a donné lieu à une première passe d’armes avec la défense. Certains prévenus étant en détention depuis trois ans, l’accusation a selon elle eu tout le temps nécessaire pour rassembler les preuves. « Le processus d’enquête n’a jamais été transparent », dénonce Caleb Alaka, l’un des avocats de Jamil Mukulu.
Pour Kristof Titeka, chercheur à l’université d’Anvers et spécialiste des ADF, cette absence d’éléments à charge n’est pas une surprise. « Dans le passé, le gouvernement n’a pas été en mesure de présenter la preuve de l’implication des ADF et de Mukulu dans l’assassinat d’imams [un des crimes qui leur sont reprochés], il reste donc à voir s’ils ont assez de preuves maintenant. » Mais Kristof Titeka en doute. « Même si les ADF ont effectivement été et continuent d’être une menace réelle, l’Etat les a souvent utilisés comme boucs émissaires. Depuis les années 1990, quand l’intervention ougandaise en RDC a été justifiée comme une attaque contre les ADF, jusqu’à aujourd’hui. »
« Des détenus ont été torturés »
Maria Burnett, directrice associée à Human Rights Watch pour l’Afrique, ne s’inquiète pas outre mesure de l’allongement de la procédure devant la division des crimes internationaux de la Haute Cour. « Nous avons déjà observé de longs délais dans d’autres affaires portées devant cette juridiction », estime-t-elle, mais ce qui est essentiel, c’est que « la défense comprenne les accusations à son encontre et puisse les mettre en cause ». Selon elle, c’est « un nouveau test » pour la justice ougandaise.
Une défense déjà particulièrement à l’offensive sur certaines questions gênantes. « Plusieurs détenus ont affirmé avoir été torturés », déclare Ladislaus Rwakafuzi, un autre avocat de la défense. « D’autres se sont vu proposer une amnistie s’ils signaient des déclarations et plusieurs ont été incités à dénoncer leurs codétenus. Tout est faussé ! », s’indigne-t-il, tout en dénonçant les difficultés des avocats pour s’entretenir en privé avec leurs clients.
Dans la salle, certains prévenus prient, un petit Coran entre les mains. Jamil Mukulu, lui, discute et plaisante avec ses voisins. La juge met fin à cette première journée de débats en accédant à la requête de l’accusation : le procès est ajourné au 28 mai. A la sortie de la Haute Cour, Jamil Mukulu réaffirme sa ligne de défense, clamant : « Les meurtriers sont dehors et vous le savez. Arrêtez d’être naïfs ! »