Une finale de Ligue Europa sous tension et teintée par la rivalité OM-OL
Une finale de Ligue Europa sous tension et teintée par la rivalité OM-OL
Par Luc Vinogradoff
Alors que les polémiques entre les deux clubs n’en finissent plus, l’OM disputera sa finale européenne, mercredi, dans le stade de l’OL. Un dispositif de sécurité « exceptionnel » est prévu pour éviter des incidents.
Avant le match retour de demi-finale contre Salzbourg. / BORIS HORVAT / AFP
Il y aura une troisième variable à la finale de la Ligue Europa qui opposera l’Olympique de Marseille et l’Atletico Madrid, mercredi 16 mai : la ville de Lyon, où elle se déroulera. La rivalité sportive et médiatique entre l’Olympique lyonnais et l’OM donne une coloration imprévue à un match qui devait se jouer, comme toutes les finales européennes, sur terrain neutre. Or, la neutralité n’existe plus quand les supporteurs d’un des finalistes sont à trois heures de route du Groupama Stadium et qu’ils clament leur plaisir à venir chambrer, plus ou moins violemment, leurs rivaux dans leur stade.
Pour éviter que l’antagonisme que les deux clubs français entretiennent depuis des années comme un petit feu ne se transforme en incendie, leurs présidents respectifs, Jacques-Henri Eyraud et Jean-Michel Aulas se sont symboliquement serré la main et siégeront ensemble en tribune, après avoir passé des mois à s’insulter par médias et réseaux sociaux interposés.
Parce que la seule bonne foi suffit rarement à éviter les affrontements entre ultras, la préfecture du Rhône a prévu un dispositif de sécurité « exceptionnel » : 1 250 policiers, gendarmes et CRS, 1 100 stadiers, un hélicoptère et l’interdiction de pétards, fumigènes et alcool pendant le match. Même s’il assure n’être « pas fondamentalement inquiet », le préfet Stéphane Bouillon a préféré voir les choses en grand pour que « la fête soit réussie (…) dans le stade, et autour du stade, et en ville ».
Thierry Aldebert, directeur de la sécurité de l’OM, a précisé à l’AFP que les groupes officiels de supporteurs qui viendront en car depuis Marseille « vont se rendre directement au stade et ne vont pas passer par le centre-ville », pour éviter d’y croiser des Lyonnais. Mais il prévient que cette mesure ne concerne que ceux qui ont acheté une des 11 566 places que l’Union européenne de football (UEFA) a accordées à l’OM, soit en majorité les membres des groupes de supporteurs comme les Ultras, South Winners, Yankees ou Fanatics
« Sur les 30 000 places vendues par l’UEFA, il y aura des Marseillais qui iront en centre-ville et qui seront hors quota, et enfin on peut retrouver en ville des gens qui n’auront pas de tickets. »
La préfecture pense qu’entre 2 000 et 3 000 supporteurs de l’OM débarqueront sans billet et si le centre-ville lyonnais ne leur est pas officiellement interdit, elle leur a bien fait comprendre qu’ils devraient rester suivre le match à domicile. « Le Vélodrome a organisé la diffusion du match et 45 000 places ont été réservées. Pour les Marseillais, la fête aura aussi lieu dans leur stade », a rappelé Stéphane Bouillon. La préfecture surveillera de près les ultras, qu’ils soient marseillais, lyonnais ou espagnols, sur les réseaux sociaux et dans la rue, et n’exclut pas quelques fights. « Mais nous serons d’une extrême vigilance et prêts à réagir. »
Mots doux et surveillance de l’UEFA
Rixe entre joueurs marseillais et lyonnais, le 18 mars. / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
Si incidents il y a, l’Olympique lyonnais ne sera pas tenu pour responsable car, dans cette affaire, il ne fait que louer son stade à l’UEFA. Ce sont les finalistes marseillais et madrilène, dont 11 000 supporteurs feront aussi le déplacement, qui le seront.
Les deux clubs français sont bien placés pour savoir que l’instance européenne a la sanction facile en Ligue Europa. Les Lyonnais sont actuellement menacés d’exclusion européenne, après des incidents lors d’un match contre le CSKA Moscou cette année et Besiktas en 2017. Les Marseillais traînent une procédure disciplinaire pour « utilisation et jet d’engins pyrotechniques » contre Bilbao et Salzbourg. Dans ce contexte, des incidents graves pourraient non seulement affecter l’attractivité de Lyon aux yeux de l’UEFA, mais aussi gâcher une éventuelle victoire marseillaise, et pas seulement financièrement.
D’où les déclarations mielleuses des deux présidents, qui contrastent tellement avec celles qu’ils se lançaient au visage il y a encore quelques mois qu’on se demande s’ils n’ont pas été remplacés par des clones bienveillants. Cette guerre des mots entretient une rivalité entre deux clubs qui se disputent le bas du podium à l’ombre du PSG. C’est le carburant qui fait vivre ce derby médiatique qu’est « l’Olympico ».
L’accumulation de critiques sur l’arbitrage et le favoritisme, et surtout la bagarre générale après la victoire de l’OL (3-2) au Vélodrome le 18 mars et la suspension de plusieurs joueurs, ont poussé cette rivalité à son apogée au pire moment pour l’image du football français. Evoquant à quelques semaines de la fin du championnat cette « guérilla », la présidente de Ligue, Nathalie Boy de la Tour, a appelé « les deux présidents [aux] parcours et profils différents (…) au calme ».
Résultat, le même Eyraud qui avait dit que, dans le football français, « le problème, c’est Jean-Michel Aulas », a juré, le 12 mai sur BFM-TV, que « tout est rentré dans l’ordre » avec son collègue, « un immense président de Lyon ». Et le même Aulas, qui taillait régulièrement le néoprésident marseillais sur son compte Twitter, a promis d’être en tribune à ses côtés en se disant « très satisfaits qu’une équipe française arrive en finale ».
« On va tout casser chez Aulas, mais avec du respect »
ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
L’attitude conciliatrice a ruisselé jusqu’au vestiaire marseillais. Comme chez des hommes politiques briefés par le parti, les joueurs sortent une variante d’une même phrase tout en équilibre, pour à la fois donner des gages aux supporteurs sans inciter ouvertement à la destruction d’une ville. « On va tout casser chez Aulas, mais avec du respect », a tenté le défenseur Adil Rami. Le milieu de terrain Maxime Lopez ne s’est pas embêté à parler entre les lignes :
« On va là-bas pour tout casser. Mais sportivement. Il ne faut pas disjoncter. C’est un message pour les supporters : nous encourager mais pas disjoncter. »
La phrase fait référence à un chant né vers la fin de la campagne européenne marseillaise, quand la finale chez les voisins lyonnais devenait probable. Elle s’en prend au symbole lyonnais par excellence en lui disant, dans la version la plus douce, « Jean-Michel Aulas, on va la gagner chez toi », et dans celles plus explicites « Jean-Michel Aulas, on va tout casser chez toi » ou pire.
Sur Internet, où les consignes du vivre-ensemble ont moins de poids, des vidéos de la chanson ont largement circulé, repris notamment par d’ex-joueurs marseillais (Benjamin Mendy, Rémy Cabella) ou même Mourad Boudjellal, le président du club de rugby de Toulon, qui veut « tout casser chez Jean-Michel Aulas, parce qu’il le mérite bien quand même ».
Le ton de la rigolade, ou comme le dit le responsable sécurité de l’OM Thierry Aldebert, de « la galéjade », n’a pas convaincu l’équipe hôte. L’OL a annoncé qu’il déposerait plainte « pour provocation au délit de destructions, dégradations et détériorations volontaires, dangereuses pour les personnes ». La direction lyonnaise ne semble pas connaître « l’effet Streisand », selon lequel en faisant appel à la justice pour effacer quelque chose qui circule sur Internet, on ne fait que lui donner plus de visibilité. Il y a désormais 100 % de chances que le chant incriminé résonnera dans le stade lyonnais et que Jean-Michel Aulas, qui y a déjà personnellement été confronté, l’entendra. Mercredi soir, son Groupama Stadium sera pour quatre-vingt-dix minutes ou plus si prolongation, une annexe marseillaise.