Semaine de la critique

Au plus loin de ses souvenirs, Rohena Gera garde l’image de la nourrice qui s’occupait d’elle lorsqu’elle était enfant. Une nounou qui « faisait partie de la famille et qui, en même temps, en était exclue », souligne la réalisatrice, née en Inde, où elle a grandi et vécu longtemps. Ce conflit, dont elle avoue qu’il l’a agitée toute sa vie, a inspiré son premier long-métrage, Monsieur (Sir), sélectionné à Cannes dans la Semaine de la critique.

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A Bombay, Ratna (Tillotama Shome) est employée chez Ashwin (Vivek Gomber), fils d’une riche famille de la ville. Il ne manque de rien et traîne pourtant une forme de mélancolie qui le rend doux. Elle a quitté sa province pour échapper à l’assujettissement familial et au poids de son veuvage, une situation jugée encore taboue dans de nombreuses villes indiennes. Bien qu’instruit et respectueux, Ashwin n’échappe pas aux règles d’une tradition qui sépare les domestiques de leur patron. Ratna le sert à table et retourne prendre son repas, assise par terre, dans la cuisine. Ils échangent peu dans cet appartement où va se dérouler un huis clos dont la réalisatrice va tirer parti pour mettre en scène la séparation, cadrant l’un et l’autre de ses personnages dans des portes ou à travers des fenêtres et glissant la caméra entre deux pièces que sépare une cloison.

Sir new clip official from Cannes 1/2
Durée : 01:24

Une grande délicatesse

Mais dans cet espace de promiscuité où les corps ne peuvent pas toujours éviter de se frôler, naissent, à travers les silences, des sentiments contre lesquels Ratna comme Arshwin ne peuvent pas lutter. Parvenant à échanger timidement quelques phrases, puis à se parler plus ouvertement, elle va trouver en lui une source d’encouragement à ses désirs de mener une vie nouvelle ; il va recevoir d’elle une écoute qui rompt sa solitude et va l’obliger à se demander quel homme il est au sein de cette société dans laquelle il vit.

Militante, la réalisatrice ne fait pas pour autant de son héroïne une victime

Rohena Gera filme avec une grande délicatesse ces deux êtres suspendus à un amour interdit, dont les émotions affleurent sans être prononcées. Militante, la réalisatrice ne fait pas pour autant de son héroïne une victime, préférant la montrer en train de se battre pour s’élever dans la société, en train de danser, de sortir de l’appartement pour se rendre dans sa famille à la campagne, tandis que Ashwin lui y est contraint, empêché, prisonnier de son cocon. Bombay et le monde extérieur ne lui apparaissant guère autrement, dans le film, que de la terrasse de chez lui.

La réalisatrice Rohena Gera. / MACHA KASSIAN

Monsieur porte l’empreinte de la douceur et de la détermination qui émanent de sa réalisatrice. Et cette histoire d’amour qu’elle inscrit fermement dans une réalité sociale et politique dont elle espère faire bouger les lignes, dit à la fois son besoin de dénoncer le statut réservé aux femmes indiennes tout autant qu’aux laissés-pour-compte, et son envie d’espérer.

Sir new clip official from Cannes 2/2
Durée : 01:11

Film indien de Rohena Gera. Avec Tillotama Shome, Vivek Gomber, Geetanjali Kulkarni (1 h 39). Sur le Web : diaphana.fr/film/monsieur et www.semainedelacritique.com/fr/edition/2018/film/sir