Loi contre les violences sexuelles : « Le gouvernement a contribué à se mettre lui-même en difficulté »
Loi contre les violences sexuelles : « Le gouvernement a contribué à se mettre lui-même en difficulté »
Par Gaëlle Dupont
Après l’adoption par l’Assemblée nationale du texte élaboré par Marlène Schiappa, Gaëlle Dupont, journaliste au « Monde », a répondu a vos questions.
Présomption de culpabilité, controverse liée à l’article 2, délit d’atteinte sexuelle... Après le vote en première lecture du projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles par les députés, Gaëlle Dupont, journaliste au Monde, a répondu à vos questions à propos du texte.
JOJO : Pourquoi certains députés se sont obstinés à vouloir introduire une forme de présomption de culpabilité dans le cas d’un viol sur mineur de moins de 15 ans alors que le Conseil d’Etat a pourtant souligné le caractère inconstitutionnel d’une telle disposition ?
C’est un sujet qui provoque beaucoup de réactions émotionnelles, y compris chez les députés. Face à cette émotion, les arguments juridiques peuvent apparaître froids, techniques, pas à la hauteur de l’enjeu des violences sexuelles commises sur les mineurs, qui sont les premières victimes de viol, même s’il s’agit de rappeler des principes fondamentaux de l’Etat de droit. Certains ont dit qu’il fallait tenter le risque de l’inconstitutionnalité, voire modifier la Constitution. De plus, Marlène Schiappa a eu du mal à répondre à plusieurs reprises aux arguments, car elle n’est pas juriste, et ne faisait que répéter un argumentaire écrit pour elle.
Coffeeclub : Pourquoi ne pas simplement qualifier de « viol » les relations sexuelles entre un adulte et un enfant de moins de 15 ans ? Pourquoi ce « délit d’atteinte sexuelle » ? La jurisprudence ne peut donc pas évoluer avec les affaires des deux filles de 11 ans ?
Le risque souligné par de nombreux juristes, mais aussi des spécialistes de la sexualité des adolescents, est que le « délit d’atteinte sexuelle » aurait pu entraîner des condamnations pour viol de jeunes majeurs de 18 ans ayant des relations consenties avec des adolescent(e) s de 14 ans et quelques mois. On aurait pu imaginer par exemple, des parents en désaccord avec la relation de leur fille portant plainte contre le jeune majeur. Ces situations ne sont pas fréquentes mais existent.
Jo : J’ai du mal à comprendre comment un viol sur majeur peut être considéré comme un crime et passible des assises, tandis qu’un viol sur mineur serait un délit jugé en correctionnelle. Pouvez-vous nous éclairer ?
Il y a un malentendu sur ce point. Le projet de loi ne transforme pas le viol sur mineur en délit. Il reste un crime et commettre un viol sur mineur de moins de 15 ans est une circonstance aggravante qui augmente la peine encourue à vingt ans de prison. Ce que redoutent plusieurs associations, c’est que l’augmentation de la peine pour atteinte sexuelle à dix ans en cas de pénétration ne conduise la justice à renvoyer davantage de viols sur mineurs en correctionnelle, car l’exercice d’une contrainte ou de la surprise, les éléments constitutifs du crime, peuvent être difficiles à prouver.
Avec une peine aggravée pour atteinte sexuelle, les juges pourraient estimer que les faits seront plus faciles à établir et la condamnation importante, donc renvoyer en correctionnelle. La correctionnalisation du viol existe déjà. Elle permet de gagner du temps car les cours d’assises sont très encombrées, mais elle minore les peines pour les agresseurs. Elle est condamnée par les associations féministes. Si leurs craintes étaient fondées ce serait une aggravation du phénomène. Le gouvernement conteste et dit que le texte va au contraire permettre, grâce à une meilleure définition de la contrainte sur mineurs, de condamner mieux les viols sur mineurs en tant que crimes.
VALLE : Une fille de moins de 15 ans ne pourra pas avoir de petit copain de plus de 18 ans ? De moins de 18 cependant oui. Et quand il aura passé ses 18 ans, faudra-t-il qu’ils rompent leur liaison ?
Oui, tout à fait. C’est le problème souligné par de nombreux juristes pour rejeter la présomption de non-consentement à 15 ans. Il reste que le délit d’atteinte sexuelle proscrit les relations sexuelles entre moins de 15 ans et majeurs. Elles ne sont pas considérées comme des viols mais la peine a tout de même été portée à sept ans, et à dix en cas de pénétration. L’interdit, qui existe déjà même s’il n’est pas toujours connu, est donc renforcé. Après, il faut qu’une plainte soit déposée, et qu’un tribunal condamne même si les protagonistes affirment qu’ils étaient tous deux consentants…
Loulou : Je n’arrive pas à comprendre la polémique autour de l’article 2. Pouvez vous être synthétique ?
Sur l’article 2, le gouvernement a contribué à se mettre lui-même en difficulté. Après des affaires judiciaires choquantes où des fillettes de 11 ans ont été considérées comme ayant consenti à des rapports sexuels, Marlène Schiappa a très vite annoncé que le gouvernement allait introduire une présomption de non-consentement, sans tenir compte des difficultés juridiques que cette mesure posait. Du coup, l’attente était très forte. Et à l’arrivée, il n’y a pas de présomption de non-consentement mais une précision de la notion de contrainte en cas de viol sur mineur. C’est une amélioration, mais par rapport à ce qui était annoncé il y a une grosse déception.
Morgane X : Quelle est la justification de la présomption de non-consentement (qui aurait pu être une présomption simple et non irréfragable) ?
La présomption irréfragable présentait un risque clair d’inconstitutionnalité car elle remet clairement en cause la présomption d’innocence à laquelle tous les justiciables ont droit.
Pour la présomption simple (qui peut être contredite), c’est moins évident, mais les arguments contre sont que la présomption de culpabilité n’existe que pour des infractions mineures, passibles de contraventions et pas en matière criminelle où les sanctions sont beaucoup plus lourdes. Et qu’elle ne supprimerait pas le débat sur le consentement du mineur.
Denis : Avant cette loi, que se passait-il si la surprise, la contrainte, etc., n’était pas prouvée ? Cette loi ne permet-elle pas une solution de repli pour les victimes ?
Si, c’est l’objectif. Si le viol ne peut être démontré, la question subsidiaire sur le délit d’atteinte sexuelle sera obligatoirement posée par les juges, c’est-à-dire qu’une peine pour atteinte sexuelle pourra être prononcée.
John : Est-ce que le projet de loi contient une composante numérique au-delà de l’article 3 ? Parce que le cyberharcèlement de groupe c’est une chose, mais entre les « gamergate », groupes incels ou coachs en séduction, ce n’est vraiment pas compliqué de trouver des propos qu’il serait illégal de tenir en public.
C’est vrai, mais le projet de loi ne traite que du cyberharcèlement de groupe. Les propos auxquels vous faites allusion sont déjà punis par la loi. L’enjeu est plutôt de la faire appliquer dans tous les espaces, y compris sur Internet.
Bob Arctor : La ministre a argumenté sur le fait que la précision légale apportée à la contrainte morale pouvant caractériser le viol aurait pour effet de permettre au juge de considérer comme viol toute relation entre mineur et majeur, même consentie et sans violence. Cet argument est-il crédible ? Le juge sera-t-il tenu par cette interprétation du texte par le gouvernement ?
Les juges (et les jurés) ont toujours une liberté d’appréciation. Comme l’ont montré les affaires de Pontoise et deMelun, car les éléments pour caractériser la contrainte en raison de la différence d’âge existaient déjà dans le code pénal, mais ils ont rejeté la qualification de viol malgré le jeune âge des fillettes (11 ans). La nouvelle rédaction est plus précise et devrait donc les orienter davantage, mais ils garderont un pouvoir d’appréciation au cas par cas.