La ministre des transports, Elisabeth Borne, quitte l’Elysée, le 9 mai. / CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Face à une poignée de sénateurs plutôt bienveillants, la ministre des transports, Elisabeth Borne, a dévoilé mercredi 16 mai, le jeu du gouvernement pour la prochaine séquence législative, à savoir le passage du projet de réforme ferroviaire devant la Haute Assemblée. Le texte va en effet être débattu devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, le 22 ou 23 mai, avant la discussion en séance prévue le 29.

L’affaire intéresse au plus haut point les cheminots mais aussi les usagers du train et tous les Français. Après son passage au Palais du Luxembourg, le projet de loi réformant la SNCF et le système ferroviaire devrait avoir acquis sa forme quasi définitive, si bien qu’il laissera entrevoir – ou pas – la fin d’une grève des agents SNCF qui entre dans son dixième épisode de deux jours vendredi 18 mai.

Les modifications de la loi par amendements seront-elles en mesure de décider l’UNSA Ferroviaire et la CFDT Cheminots, les organisations les plus réformistes, à lâcher l’intersyndicale ? A première vue, cela semble compliqué. Mme Borne a surtout réaffirmé des principes intangibles, à commencer par le caractère non négociable des trois piliers de la réforme : ouverture à la concurrence, transformation de la SNCF en société par actions, fin du recrutement au statut à la date – qui sera inscrite dans la loi du 1er janvier 2020.

Mûr pour quelques compromis

Surtout, la ministre reste ferme sur un sujet important pour les syndicats : le droit pour les cheminots au refus d’être transféré si une ligne régionale passe à la concurrence. « Nous ne pourrons pas renoncer au principe qu’il y aura nécessairement une part de transfert obligatoire, a expliqué Mme Borne, car c’est indispensable pour garantir la continuité du service public. » De quoi chagriner l’UNSA et la CFDT.

A y regarder de près, le gouvernement est quand même mûr pour quelques compromis, essentiellement sur le plan social. Selon notre décompte réalisé à partir des 70 amendements (42 + 28) que souhaitent faire porter la CFDT et l’UNSA devant le Sénat, un peu plus de 15 % des propositions syndicales devraient être soutenues par le gouvernement, si on se fonde sur les déclarations d’Elisabeth Borne devant les sénateurs. La même proportion (15 %) devrait en revanche logiquement recevoir une fin de non-recevoir. Pour le reste, à savoir les deux tiers des amendements proposés par les syndicats, le jeu reste ouvert.

Quelles sont ces concessions ? Il y a d’abord la fameuse incessibilité de la SNCF et de ses deux principales filiales (SNCF Mobilités et SNCF Réseau) qui sera bien inscrite dans la loi afin de définitivement couper court aux accusations de privatisation. Ensuite, le gouvernement souhaite réaffirmer l’unité sociale de la SNCF en définissant un « périmètre ferroviaire unifié ».

Le sujet peut sembler technique, mais il a manifestement son importance pour la CFDT et l’UNSA qui ont rédigé plusieurs amendements en ce sens. En résumé, il permet que tous les cheminots travaillant actuellement pour l’un des trois établissements publics de la SNCF (Groupe SNCF, SNCF Réseau, SNCF Mobilités) gardent les mêmes droits sociaux dans la future organisation de la SNCF en SA, quelle qu’elle soit.

Entrevue le 25 mai avec Edouard Philippe

Par ailleurs, sur la question sensible du transfert des personnels dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, le gouvernement accepte quelques aménagements correspondant à des demandes syndicales. Si, on l’a vu, les agents SNCF majoritairement affectés à une ligne régionale qui bascule à la concurrence sont transférés obligatoirement, ce seront d’abord les volontaires qui seront désignés. Or le principe du volontariat va être étendu à toute la région concernée.

De plus, les salariés de la SNCF, dont l’activité n’est pas majoritairement liée à la ligne qui passe à la concurrence, se verront proposer un reclassement au sein du groupe public. Le gouvernement est prêt à ajouter aussi une possibilité pour un salarié au statut, transféré à un opérateur concurrent, de retrouver son statut et l’ensemble des avantages associés s’il revient (au bout d’un temps défini) à la SNCF. Enfin, le gouvernement souhaite garantir que l’agent SNCF transféré conserve l’intégralité de sa rémunération, y compris les allocations familiales supplémentaires dont bénéficient les cheminots.

Côté syndicats réformistes, c’est un peu l’expectative. « Nous sommes déçus par l’inscription dans la loi de la fin du recrutement au statut au 1er janvier, souligne Florent Monteilhet, secrétaire général adjoint de l’UNSA Ferroviaire. Rien ne dit que nous aurons abouti dans ces délais à un bon accord avec le patronat ferroviaire. Cela dit, il y a des avancées, sur l’unité sociale par exemple. »

Les négociateurs syndicaux comptent sur la majorité sénatoriale de droite pour faire avancer leurs pions. Si les sénateurs LR et UDI accueillent favorablement la réforme, ils ne seront pas aussi dociles avec le gouvernement que ne l’est la majorité LREM à l’Assemblée nationale. Les délégués UNSA ont apprécié leurs échanges avec Gérard Cornu, sénateur apparenté LR d’Eure-et-Loire, qui sera le rapporteur du projet de loi de réforme ferroviaire devant la Haute Assemblée. « L’accent mis sur la nécessité de cohésion territoriale par les sénateurs lors de l’audition de la ministre a également contribué à nous rassurer », ajoute M. Monteilhet.

Tractations, discussions, entrevues… Les négociations officielles et officieuses continuent en même temps que le mouvement de grève se prolonge. Le premier ministre Edouard Philippe a convié les syndicats à une nouvelle entrevue le 25 mai dans un format bilatéral, comme le 7 mai. « Le gouvernement (…) travaille de manière ouverte et constructive sur tous les amendements qui ne remettent pas en cause les trois principes invariants de la réforme », assure Edouard Philippe dans sa lettre d’invitation. Il reste encore un peu de grain à moudre.