Rabat a annoncé « dans l’immédiat », lundi 12 décembre, une nouvelle opération de régularisation des migrants en situation irrégulière. En 2014, les autorités avaient ouvert des guichets dans tout le royaume pour accueillir les demandes des « sans-papiers ». Après une longue procédure et un appel, le nombre de régularisés avait atteint environ 25 000, soit près de 92 % des demandeurs.

Au retour d’une longue tournée diplomatique sur le continent, le roi Mohammed VI ordonne donc la poursuite d’une politique qui a bénéficié en grande majorité à des ressortissants de pays d’Afrique subsaharienne. Cette décision apparaît comme un enjeu de « diplomatie migratoire », nous explique Mehdi Alioua, sociologue spécialiste des migrations et président de l’association antiraciste Gadem.

Le roi a annoncé une nouvelle opération de régularisation. Est-ce pour finir le travail entamé en 2014 ou pour toucher de nouveaux demandeurs ?

Mehdi Alioua Il me semble que l’objectif est double : traiter toutes les demandes déjà reçues et en accueillir de nouvelles. La Commission nationale des recours et de l’intégration avait précisé qu’elle ne cesserait ses travaux que lorsque tous les cas auront été traités (CNRI). Or, non seulement il y a plusieurs milliers de personnes dont la demande a été rejetée mais il y a surtout tous ceux que nous n’avons pas réussi à convaincre de lancer la procédure. Enfin, il y a tous ceux dont les cartes de séjour vont expirer et qu’il faut aider.

Faut-il voir dans le timing de cette nouvelle vague de régularisation la volonté de Rabat de se différencier d’Alger, qui a déplacé début décembre plus de 1 400 migrants subsahariens dans le sud, dont certains ont déjà été expulsés ?

C’est possible, mais nous attendions cette nouvelle qui avait été prévue, sans date précise, par la Commission nationale. Le timing est logique et pas forcément en lien avec les errements sécuritaires des autorités algériennes. Il ne faut pas oublier que le chef de l’Etat revient d’une tournée africaine où cette nouvelle politique a été saluée. Ce que je nomme la diplomatie migratoire est devenue un élément de « soft power » et le Maroc est en passe de devenir un leader en la matière.

Vous avez participé à la CNRI qui a élargi les critères de régularisation en 2015. Quel bilan faites-vous de cette expérience ?

J’y siégeais en tant que sociologue spécialiste des migrations, mais mon engagement pour les droits des migrants était clair pour tous. Cette commission, qui a été l’idée de Driss Al-Yazami [président du Conseil national des droits de l’homme] ne doit pas s’arrêter là et peut même servir de modèle. C’est un tour de force de faire dialoguer sans langue de bois ministres, migrants sans papiers et société civile, notamment la plus critique vis-à-vis des actions policières.

Comment expliquer que la première origine des régularisés soit le Sénégal, un pays pourtant lié au royaume par un accord d’établissement ?

Jusqu’en 2013, le Maroc n’avait pas de politique migratoire digne de ce nom, capable de voir au-delà de la matraque. Et beaucoup de Sénégalais installés depuis des années vivaient dans la clandestinité. Cette campagne a mis fin à cette injustice, mais il y a encore beaucoup de travail, notamment une législation qui ne soit pas que sécuritaire. Cela fait trois années que nous l’attendons. Le gouvernement sortant n’a pas été capable d’en proposer une en partenariat avec la société civile et les migrants eux-mêmes.

Vous avez coréalisé une étude portant sur 1 400 migrants ? Quel est le profil type du migrant subsaharien résidant au Maroc ?

Les chiffres les plus parlants de cette étude sont que près de 92 % de ces migrants sont des urbains, 87 % ont le baccalauréat et 50 % un diplôme du supérieur ! En outre, 70 % d’entre eux sont arrivés par avion et 65 % sont venus avec l’idée de s’installer au Maroc. Nous avons des échanges forts avec certains pays africains et il est logique de voir leurs ressortissants s’installer chez nous comme nous le faisons chez eux. Si le Maroc veut être en Afrique, il faut que l’Afrique soit au Maroc !

L’association que vous présidez, le Gadem, dénonce régulièrement les mauvais traitements, le racisme, les violences policières, etc. Les « rafles » de migrants ont-elles cessé ?

Oui, sauf dans les zones frontalières avec l’Union européenne [autour des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla], mais elles ne se traduisent plus par des expulsions. Ailleurs, elles ont cessé et les relations avec la police se sont normalisées. En revanche, nous faisons face à la montée du racisme de certains citoyens. Même si cela reste pour l’heure en deçà de ce qui peut se passer ailleurs, cette tendance nous inquiète. Il faut travailler sur ce problème, avant qu’il ne devienne incontrôlable.