Sept questions sur le nouveau contrôle technique
Sept questions sur le nouveau contrôle technique
Par Charlotte Chabas
En avril, les centres de contrôle technique ont observé une hausse de fréquentation de 61 %. En cause, la crainte de la nouvelle mouture de l’examen obligatoire. Explications.
Une Citroën 2 CV, lors un rassemblement automobile, à La Vèze (Doubs), le 11 mai. / SEBASTIEN BOZON / AFP
C’est un jeudi matin de mai, épargné par les jours fériés et les ponts. Deux heures avant l’ouverture de l’un des centres de contrôle technique de Meaux, en Seine-et-Marne, ils sont déjà une dizaine d’automobilistes à patienter. Une affluence « hallucinante », selon un employé du centre, qui « ne sait plus où donner de la tête ». Et qui s’est observée dans toute la France depuis le début de l’année, provoquant une hausse de 61 % des rendez-vous dans les centres agréés pour le seul mois d’avril.
La raison de cette ruée aussi soudaine ? L’arrivée d’un nouveau contrôle technique, qui entre en vigueur dimanche 20 mai. Explications de cette nouvelle mouture de l’examen automobile, obligatoire depuis 1992 en France, que doivent passer chaque année 25,4 millions de véhicules légers dans les 6 300 centres de contrôle technique agréés.
Pourquoi le contrôle technique change-t-il ?
C’est la directive européenne 2014/45, publiée le 3 avril 2014, qui est à l’origine de ce changement. En jeu : l’harmonisation au sein de l’Union européenne des contrôles techniques, et l’objectif de diminuer de moitié, par rapport à 2010, le nombre de morts sur les routes à l’horizon 2020. La France est d’ailleurs le dernier pays européen à la transposer dans son droit, le 20 mai 2018 étant la date butoir fixée par le texte.
Qu’est ce qui change dans le contrôle technique ?
Le nombre de points de contrôle augmente, passant de 124 à 132 avec les nouvelles règles. Surtout, c’est le nombre de défauts potentiels – rebaptisés officiellement « défaillances » – qui augmente, passant de 453 aujourd’hui – dont un tiers environ entraîne une contre-visite – à 668 à partir de lundi – 506 obligeant à une contre-visite.
Ces défaillances se déclinent désormais en trois catégories :
- 162 défaillances mineures, qui n’ont pas de conséquences lourdes sur le véhicule, l’environnement et la sécurité, et n’impliquent donc pas de contre-visite.
- 362 défaillances majeures, qui regroupent les anomalies susceptibles de compromettre la sécurité du véhicule ou des autres usagers de la route, ou encore d’avoir une « incidence négative » sur l’environnement. Ces défaillances majeures obligent à des réparations dans un délai de deux mois, constatées par une contre-visite.
- 144 défaillances critiques, qui désignent les dysfonctionnements qui constituent un danger direct et immédiat (siège conducteur mal fixé, plaquettes de frein absentes, ancrage des ceintures arrachées, essieu fêlé, etc.). Le véhicule disposera alors d’un contrôle technique valide jusqu’à la fin de la journée seulement, et aura donc ensuite interdiction de circuler jusqu’à avoir procédé aux réparations et à la contre-visite, dans un délai de deux mois.
Si les points de contrôle ne sont pas beaucoup plus nombreux, c’est donc le nombre de sous-éléments qui augmente fortement, et notamment ceux donnant lieu à une contre-visite. Le système antiblocage des roues par exemple, qui faisait l’objet d’un seul point de vérification pouvant entraîner une contre-visite (anomalie importante de fonctionnement), sera désormais l’objet de six observations.
Enfin, la façon de contrôler les véhicules va également être modifiée. Les contrôleurs ne devront plus seulement reporter ce qu’ils observent, mais aussi évaluer l’évolution possible de ce qu’ils constatent, et notamment le danger que cela représente. Ainsi, une « mauvaise fixation du système d’échappement » constituera une défaillance majeure. Mais une « mauvaise fixation du système d’échappement pouvant entraîner une chute » conduira au constat d’une défaillance critique.
C’est aussi pour cette raison que le niveau de technicité requis des contrôleurs va augmenter : alors qu’aujourd’hui un niveau de formation équivalant au CAP ou au BEP est requis, les contrôleurs devront désormais justifier d’un niveau bac professionnel en mécanique automobile.
Qu’est ce qui ne change pas ?
La fréquence ne change pas : le contrôle technique reste obligatoire avant la quatrième année du véhicule, puis tous les deux ans, et moins de six mois avant la vente du véhicule.
Le prix du contrôle technique va-t-il augmenter ?
Depuis 2003, l’Etat a privatisé le contrôle technique des véhicules, c’est-à-dire que sa réalisation a été donnée à des organismes privés. Chaque centre fixe donc ses tarifs, d’où les différences déjà en vigueur entre les professionnels possédant l’agrément.
Cette évolution du contrôle technique va conduire à un allongement du temps de contrôle, surtout au début lorsque le personnel ne sera pas rompu aux nouvelles exigences. En outre, le personnel sera plus qualifié. « Tous ces éléments rendent logique le fait que ça augmente, reste à savoir de combien », confirme Bernard Bourrier, président de la branche contrôle technique au sein Conseil national des professions de l’automobile (CNPA) et du réseau spécialisé Autovision.
Avant la réforme, un contrôle technique coûtait en moyenne 65 euros. Le prix moyen d’une contre-visite était de 14 euros, mais elle pouvait être offerte si elle était simple et rapide. Si certains professionnels parlent de 15 % à 30 % de hausse, Philippe Debouzy, président des agents et indépendants du CNPA, veut croire à une hausse limitée du fait de « la forte concurrence entre les centres qui empêche une envolée des tarifs ».
Le tarif de la contre-visite, dans la même logique, pourrait atteindre entre 20 euros et 30 euros, selon Dekra, un des principaux réseaux de contrôle technique agréé par l’Etat. Les 20 % environ des centres de contrôle technique qui offrent actuellement la contre-visite à leurs clients continueront-ils à faire ce geste commercial ?
Qu’est ce qui reste encore incertain ?
Outre l’ampleur de la hausse des prix, cette nouvelle législation laisse encore plusieurs zones de flou. Concernant les voitures présentant des défaillances critiques, donc interdites de circuler dès le lendemain du contrôle technique, on ignore encore si une tolérance sera observée pour que les conducteurs puissent amener leur véhicule au garage pour effectuer les réparations. De fait, ils s’exposent à une amende de 135 euros s’ils circulent malgré l’interdiction.
Par ailleurs, on ignore encore si cette multiplication des critères d’observation va donner lieu à une hausse d’ampleur des contre-visites. En 2016, le taux de prescription de contre-visites pour les véhicules particuliers était de 17,6 %. Certains tests menés par des centres, notamment au Mans pour Sécuritest, ont donné lieu à des taux de contre-visites de l’ordre de 40 %. Dekra, pour sa part, évalue ce chiffre à environ 25 %. Pour M. Bourrier, « il sera important de faire le point dans six mois : si on constate que les contre-visites passent à 35 % ou 40 %, il faudra évidemment s’interroger ».
Concernant les défaillances critiques, les professionnels se montrent moins inquiets, parlant des « cas les plus extrêmes ». « Est-ce qu’il est normal de laisser rouler pendant deux mois un véhicule qui a un flexible de freins coupé ou qui va se couper ? », argue le président de la branche contrôle technique au sein du CNPA, qui voit un progrès dans le fait que « ça obligera les gens à réparer immédiatement quand le danger est clairement établi ». Et de préciser que la mesure est déjà en vigueur pour les poids lourds, à la suite de plusieurs accidents graves.
Selon le groupe SGS (enseignes de contrôle technique Sécuritest et Auto Sécurité), qui a réalisé des tests à partir de 250 véhicules présentés au contrôle technique en appliquant de manière anticipée la nouvelle classification, environ 4 % d’entre eux présentaient des défaillances critiques (freins, pneus, etc.).
Pourquoi ce changement est-il critiqué ?
Hausse du carburant, difficultés de délivrance des cartes grises, baisse de la vitesse maximum sur les routes secondaires… le nouveau contrôle technique intervient dans un contexte chargé en termes d’actualités pour les automobilistes. D’où la crispation qu’il provoque. Et les détracteurs du nouveau contrôle technique soulignent que l’état technique du véhicule n’est identifié comme une cause directe que dans moins de 5 % des accidents de voiture, plus de 90 % étant dus à une erreur humaine.
Un constat qui pourrait faire craindre que davantage d’automobilistes soient tentés de rouler sans contrôle technique à jour, sachant qu’un tiers des automobilistes confesse déjà le passer en retard, selon un sondage de BVA.
« Il y a des tensions avec les clients », reconnaît ainsi M. Debouzy, de CNPA, qui déplore « la quantité de fausses informations qui circulent et l’effet de psychose ». Lui n’hésite pas à comparer la situation actuelle avec celles de crainte de pénuries d’essence, qui provoquent le manque du produit du fait d’une surconsommation. Depuis le début de l’année, les organismes de maintenance et de pièces détachées peinent ainsi à répondre à la forte hausse de la demande, manquant de matière première.
Surtout, Philippe Debouzy, installé dans le Val-de-Marne, craint des incidents avec les clients : ceux qui se sont précipités dans les centres avant le 20 mai, mais n’ont pas pris le temps de faire leur contre-visite avant l’entrée en vigueur du nouveau contrôle technique, seront contraints de repasser l’intégralité du contrôle dans sa nouvelle formule.
Pourquoi ça risque d’être pire en 2019 ?
Ces évolutions de mai 2018 ne sont pas les dernières pour les automobilistes, loin de là. Un bouleversement de taille devrait intervenir dès le 1er janvier 2019, avec la mise en place de nouveaux contrôles antipollution, particulièrement contraignants pour les véhicules diesel. Les seuils seront ainsi fortement baissés, impliquant pour beaucoup de véhicules des travaux coûteux, voire techniquement impossible.
« On sait déjà qu’un tas de voitures, y compris des relativement récentes, ne sont pas conformes à ces nouveaux seuils », affirme M. Debouzy, qui s’inquiète des conséquences pour les automobilistes, notamment les plus pauvres. Pour inciter au renouvellement d’un parc automobile vieillissant et polluant, le gouvernement a bien mis en place une prime à la conversion, qui grimpe jusqu’à 2 500 euros pour l’achat d’un véhicule neuf pour les foyers non imposés, et pourrait être prochainement ouvert aux véhicules d’occasion. Une mesure que le spécialiste juge insuffisante : « Si le contrôle technique devient un couperet social, c’est grave, il faut trouver d’autres solutions. »