« La coalition italienne entretient une dynamique favorable pour l’extrême droite en Europe »
« La coalition italienne entretient une dynamique favorable pour l’extrême droite en Europe »
Propos recueillis par Cécile Frangne
Pour la chercheuse Anaïs Voy-Gillis, l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en Italie s’inscrit dans une dynamique européenne de recomposition des clivages idéologiques à droite.
Giuseppe Conte – ici le 24 mai à Rome – a été nommé, mercredi 23 mai, président du conseil italien. / ETTORE FERRARI / AP
Giuseppe Conte a été nommé, mercredi 23 mai, à la présidence du conseil italien. Juriste, ce novice de la politique sera chargé de mettre en œuvre le programme négocié entre la Ligue, parti d’extrême droite, et le Mouvement 5 étoiles (M5S), formation dite « antisystème », qui composent la nouvelle coalition à Rome. Pour Anaïs Voy-Gillis, membre de l’Observatoire européen des extrêmes et doctorante à l’Institut français de géopolitique, l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en Italie traduit une dynamique européenne de montée des discours nationalistes et de plus grande porosité entre partis de droite et d’extrême droite.
Comment expliquer le rapprochement entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles (M5S) ? N’est-il pas un peu « improbable » ?
Si la Ligue (anciennement Ligue du Nord) se déclare ouvertement d’extrême droite, le Mouvement 5 étoiles (M5S) est quant à lui inclassable. Il n’a pas de ligne idéologique claire et surfe sur toutes les tendances. Ce faisant, il ramène à lui les déçus de la politique.
L’alliance des deux, loin d’être contre-nature, est un choix logique et tactique, car les deux mouvements possèdent des points de convergence, notamment sur le rejet de l’immigration et de l’austérité, et partagent une même critique des élites et du système actuel.
La Ligue et le M5S ont bénéficié d’un contexte italien particulier : fortement endetté, le pays fait face à des difficultés économiques et souffre d’une corruption importante. Il est par ailleurs en première ligne face à l’arrivée de migrants en Europe depuis la Méditerranée, sans que les autres pays européens s’engagent fortement à ses côtés dans la résolution de cette crise.
L’alternance de gouvernements centre gauche et centre droit au pouvoir n’a pas démontré une amélioration du quotidien des citoyens. Les discours politiques des partis traditionnels n’entrent plus en résonance avec l’expérience quotidienne des citoyens.
Cette coalition est-elle sans précédent en Europe ?
L’arrivée d’une coalition antisystème à Rome est inédite, parce que l’Italie est un pays fondateur de l’Union européenne, et la troisième puissance économique de la zone euro. Mais elle s’inscrit dans une tendance européenne plus large de recomposition des clivages idéologiques à droite, d’une montée en puissance des discours nationalistes et d’une porosité des frontières entre les partis de droite conservatrice et l’extrême droite : Viktor Orban au pouvoir depuis 2010 en Hongrie, le PiS (Parti droit et justice) qui gouverne en Pologne, le Brexit…
Ces exemples illustrent bien la rupture des solidarités nationales et la remise en cause de la démocratie, qui alimentent la rhétorique d’extrême droite. Plus récemment, la perception d’une crise migratoire et les attentats commis sur le sol européen ont servi de catalyseur à ces idées.
Peut-on parler d’une banalisation de l’extrême droite au pouvoir ?
Au sein du Parlement européen, le Fidesz de Viktor Orban est toujours membre du Parti populaire européen (PPE), qui réunit les partis de centre droit nationaux. Tout comme Robert Fico est resté membre du groupe des sociaux-démocrates européens après avoir gouverné en 2016 en coalition avec le Parti national slovaque d’extrême droite. Le SPD autrichien gouverne quant à lui en coalition avec le FPÖ à l’échelle du Land oriental du Burgenland.
Les coalitions avec l’extrême droite sont de plus en plus courantes et acceptées. En 2000, quand l’ÖVP (centre droit) s’était allié au FPÖ en Autriche, il y avait eu de vives réactions de la part de la société civile et des institutions européennes.
Ce type d’alliance aujourd’hui ne suscite que peu de réactions pour deux raisons : la première est qu’il est difficile de remettre en cause un parti qui accède au pouvoir de manière démocratique ; la seconde est que les critiques et les sanctions ne sont pas forcément utiles.
Quelles pourraient être les conséquences de l’émergence de la coalition Ligue-M5S au niveau européen ?
Lors des prochaines élections, en 2019, le Parlement européen risque d’abord de se retrouver paralysé politiquement par une opposition très forte au projet européen, à l’extrême droite comme à l’extrême gauche.
Sur le plan diplomatique, l’arrivée au pouvoir du duo Ligue-M5S donne surtout plus de poids et de visibilité aux revendications anti-immigration portées par les membres du groupe de Visegrad, composé de la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Hongrie. Cette alliance en sort donc renforcée.
En Hongrie, le Fidesz de Viktor Orban a déjà applaudi l’avènement de cette coalition italienne, parce qu’elle va dans le sens de l’histoire qu’il cherche à écrire, en termes de rejet de l’immigration et des institutions européennes.
Il y a d’ailleurs fort à parier que la question migratoire vienne très rapidement sur le tapis, notamment sur la réforme des règles de Dublin, avant même la remise en cause de l’union monétaire, et plus largement de l’Union européenne.
Contrairement à l’Autriche, où la présence au pouvoir du parti de l’ÖVP au côté de l’extrême droite permet d’adopter des positions plus modérées, la nouvelle coalition italienne promet d’employer une stratégie beaucoup plus extrême vis-à-vis de Bruxelles.
Cette dynamique pourrait-elle se traduire dans d’autres pays, comme la France ?
En France, la question ne se pose pas encore, car il n’y a pas de parti qui ressemble au M5S, et que la figure de l’extrême droite française, Marine Le Pen, est actuellement affaiblie. Mais la coalition italienne entretient une dynamique favorable pour le Front national, ainsi que pour les autres groupes d’extrême droite en Europe.
Il suffit de regarder les alliés de Marine Le Pen au sein de son parti politique européen, l’Europe des nations et des libertés [qui comprend le FPÖ, autrichien ; la Ligue, italienne ; le Vlaams Belang, belge ; le SPD, tchèque ; et le KNP, polonais] pour se rendre compte que deux sur les cinq sont entrés dans des coalitions de gouvernement.
Désormais, lorsque Marine le Pen se rend dans ces pays, elle peut se targuer de discuter avec des alliés crédibles en poste dans les ministères.
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