L’industriel, patron de presse et ancien sénateur Serge Dassault est mort
L’industriel, patron de presse et ancien sénateur Serge Dassault est mort
Par Edouard Pflimlin
Quatrième fortune de France, l’industriel de l’armement, Serge Dassault, est mort lundi à 93 ans. Ingénieur de formation, il a contribué à l’essor du groupe fondé par son père. Homme politique, il a été mêlé à plusieurs affaires de corruption.
Portait de Serge Dassault, le 10 janvier 2017. / THOMAS SAMSON / AFP
Le milliardaire Serge Dassault, qui a présidé à l’essor du groupe aéronautique Dassault, un des fleurons de l’industrie d’armement française, est mort le lundi 28 mai à 93 ans, ont annoncé sa famille et le groupe Dassault.
Serge Dassault est né le 4 avril 1925, à Paris. Il est le fils de Marcel Dassault et de Madeleine Minckes. Son père a été déporté à Buchenwald en août 1944 pour avoir refusé d’apporter aux nazis son savoir-faire aéronautique – il avait créé la Société des avions Marcel Bloch en 1928. Il en réchappera grâce à l’aide d’un co-détenu, Marcel Paul, membre du Parti communiste.
En 1946, la famille Bloch prend le nom de Dassault puis, en 1950, se convertit au catholicisme. Après ses études secondaires, il entre à l’Ecole polytechnique en 1946. Puis rejoint l’Ecole nationale supérieure de l’aéronautique et de l’espace (SUPAERO), dont il est diplômé en 1951. Il est aussi diplômé d’HEC. Le 5 juillet 1950, il épouse Nicole Raffel avec laquelle il aura quatre enfants.
En 1951, il entre à Générale aéronautique Marcel-Dassault, comme ingénieur, au bureau d’études des avions de série. Nommé directeur des essais en vol en 1955, puis directeur de l’exportation quelques années plus tard, il œuvre ensuite, sous la houlette de son père, au développement de Dassault qui équipera notamment la force de dissuasion aérienne avec le Mirage IV. Mis en service en 1964, l’avion fut le premier vecteur de la « triade » de la dissuasion de l’époque (au côté des missiles balistiques et, plus tard, des sous-marins nucléaires).
Photo datée de février 1962 du décollage du Mirage IV, de construction Dassault. Le mirage IV A est un bombardier biplace, biréacteur qui peut se déplacer à la vitesse de Mach 2. / - / AFP
Le Mirage F1 entre, lui, en service en 1974. C’est un grand succès industriel et à l’export. Outre la France, 473 exemplaires équipent les armées de l’Air de plusieurs pays d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient.
un Mirage F1 CT décolle, le 14 mai 1999, de la base aérienne 132 de Meyenheim, près de Colmar, en direction de la base italienne d'Istrana pour participer à des attaques au sol dans le cadre des opérations de l'OTAN en Yougoslavie. (IMAGE ELECTRONIQUE) / AFP PHOTO / DAMIEN MEYER / DAMIEN MEYER / AFP
Parallèlement, Serge Dassault se lance en politique. Il se présente aux élections municipales de 1977 à Corbeil-Essonnes, et aux législatives de 1978 et de 1981. Ce seront trois échecs. Il est finalement élu au poste de conseiller municipal en 1983 à Corbeil-Essonnes. Les mandats s’enchaînent alors : conseiller régional en 1986 et en 1992, conseiller général de l’Essonne en 1988 et 1994.
Marcel Dassault (D), fondateur de la Société des avions Marcel Dassault, arrive avec son fils Serge, le 25 septembre 1985 à Paris, dans les locaux de son hebdomadaire Jours de France dans le cadre de la conférence de presse au cours de laquelle il a confirmé la vente à l'Irak de 24 Mirage F1. / AFP PHOTO / JOEL ROBINE / JOEL ROBINE / AFP
En 1987, il est nommé président-directeur général de Dassault Industries (devenu depuis Groupe Dassault) après la mort de son père survenue le 17 avril 1986. En 1995, Serge Dassault décide de se présenter à nouveau aux élections municipales, malgré les nombreux revers qu’il a déjà subis. Cette fois-ci sera la bonne : sa liste l’emporte avec plus de 55 % des voix et il est élu maire de Corbeil-Essonnes. Il est réélu en 2001.
Le 8 juillet 2004, il prend le contrôle de la Socpresse, premier groupe de presse français qui possède entre autres Le Figaro, L’Express, L’Etudiant, Le Maine libre, Le Courrier de l’Ouest, et Le Dauphiné libéré. Rapidement, il vend la plupart des titres du groupe, ne conservant que Le Figaro, qu’il veut utiliser pour « exprimer son opinion ». Mais, la rédaction fait de la résistance au grand dam du propriétaire qui s’indigne, en 2007, sur BFM : « Pourquoi la liberté de parole serait aux journalistes et pas aux actionnaires ? C’est quand même extraordinaire, ça ! ».
En 2004, il brigue un mandat sénatorial sous l’étiquette UMP qu’il obtient le 26 septembre à 79 ans. Il deviendra le doyen d’âge du Sénat à 83 ans, après sa réélection en 2008. Reconduit comme maire en mars 2008, sa réélection est contestée par l’opposition qui soutient que des habitants auraient reçu des sommes d’argent de la part de la municipalité sortante en échange de leurs votes. L’élection est annulée par le Conseil d’Etat en juin 2009 pour « dons d’argent » et Serge Dassault est déclaré inéligible pour un an. Jean-Pierre Bechter, candidat UMP, lui succède à la mairie. L’élection de ce dernier est quant à elle invalidée en septembre 2010.
Pour la première fois, l’industriel et sénateur UMP Serge Dassault reconnaît dans un enregistrement réalisé fin 2012, et dont Mediapart publie des extraits le 15 septembre 2013, avoir acheté la victoire de son successeur à la mairie de Corbeil-Essonnes. Une somme de 1,7 million d’euros est en jeu. Les deux hommes qui sont venues réclamer leur dû auprès de Serge Dassault à l’origine de l’enregistrement ont essuyé des coups de feu trois mois plus tard, blessant l’un d’eux grièvement. Selon Mediapart, « un mois plus tôt, en janvier (2013), un autre acteur du système Dassault, Rachid T., qui avait dénoncé une dérive “mafieuse” dans la ville, a été victime lui aussi d’une tentative de meurtre par balles ». L’immunité parlementaire de Serge Dassault est levée en février 2014.
Le 10 avril 2014, Serge Dassault est mis en examen par les juges d’instruction du pôle financier pour « achat de votes », « complicité de financement illicite de campagne électorale » et « financement de campagne électorale en dépassement du plafond autorisé ». Cette mise en examen fait suite à celle de Jean-Pierre Bechter.
Si son patron est aux prises avec la justice, sur le plan industriel, Groupe Dassault connaît des succès inespérés, avec à sa tête Eric Trappier, nommé PDG du groupe, le 9 janvier 2013.
Un Rafale sur le stand Dassault au salon du Bourget, le 12 juin 2015. / ERIC PIERMONT / AFP
Le Rafale, avion de combat de 4e génération, qui est entré en service en France en 2004, a décroché depuis 2015 trois contrats à l’export en Egypte, au Qatar et en Inde après une succession de campagnes de ventes infructueuses.
Mais la justice poursuit son travail et, en février 2017, Serge Dassault est condamné à deux millions d’euros d’amende et à cinq ans d’inéligibilité pour « blanchiment de fraude fiscale » et « omission de déclaration de patrimoine par un parlementaire ». Début août, il est mis en examen pour « achat de votes », « blanchiment » et « complicité de financement illicite de campagne électorale ».
En 2018, le magazine Forbes estime sa fortune à 19 milliards d’euros, ce qui le classe quatrième parmi les milliardaires français.
Voir la vidéo : « L’aventure Dassault »
Lire l’article de Dominique Gallois sur l’histoire de Dassault depuis Marcel Dassault : « Dassault aviation, l’innovation comme moteur »