Service national universel : obliger les jeunes, une option à risque
Service national universel : obliger les jeunes, une option à risque
Par Cédric Pietralunga, Eric Nunès
Le général Daniel Menaouine, à qui l’Elysée a confié la mission de conduire un groupe de travail, préconise une consultation de la jeunesse, une option « validée » par M. Macron.
Comment imposer à la jeunesse un Service national universel (SNU), mais sans la contrarier ? Alors que la réforme du bac commencera à s’appliquer à la rentrée et qu’en ce printemps, de nombreux élèves de terminale vivent dans l’angoisse les résultats de la plate-forme d’accès à l’université Parcoursup, inutile de provoquer une nouvelle étincelle susceptible de mobiliser étudiants et lycéens. C’est en suivant cette difficile ligne de crête que le gouvernement travaille à la mise en place d’un engagement de campagne d’Emmanuel Macron : un service national pour tous les jeunes, que le président de la République a voulu « obligatoire ». Un sujet qui lui tient à cœur – il s’inscrit dans sa volonté de « faire Nation » –, mais pour lequel la majorité se montre plus frileuse, du moins dans le contexte actuel.
L’acceptation par la jeunesse du SNU dépendra de son contenu. Il faut donc tracer ses contours en douceur. C’est à un militaire, le général Daniel Menaouine, que l’Elysée a confié la mission de conduire un groupe de travail, qui a rendu son rapport fin avril. Prudent, il propose une consultation de la jeunesse – une option « validée » par M. Macron, y est-il précisé.
Le président « est attaché à ce que la jeunesse s’approprie le sujet et donc qu’elle soit consultée », confirme l’Elysée. La piste d’un référendum est a priori écartée. L’idée serait de consulter des organismes de jeunesse (syndicats étudiants, associations, Jeunesse ouvrière chrétienne, etc.). De fait, amener tous les jeunes à s’exprimer constituerait une prise de risque pour l’exécutif. Alors que des arbitrages étaient annoncés pour ce printemps, plus aucun calendrier n’est aujourd’hui avancé. Le rapport est pour l’instant examiné au niveau interministériel.
La première étape a été de gommer quelques lignes du programme du candidat Macron, qui promettait la création d’un « service militaire obligatoire et universel d’un mois ». Un an plus tard, il est hors de question de remettre la jeunesse au garde à vous. Ce malentendu corrigé, les auteurs du rapport mettent en garde contre l’un des plus importants écueils sur lequel pourrait s’échouer le projet : la contrainte. « Le service national universel ne doit pas être conçu, ou regardé, comme le projet d’adultes, raisonnables et vieillissants, imposant à une jeunesse turbulente une période durant laquelle on lui enseignerait l’autorité et les vraies valeurs. »
Deux phases
Néanmoins, « obligatoire », le SNU le serait selon les propositions du rapport, mais sur une courte période : deux fois quinze jours, entre 15 et 18 ans (un premier temps de « cohésion » de 15 jours, en hébergement, centrés sur les valeurs puis une seconde d’une même longueur autour d’un projet d’engagement collectif). Puis une deuxième « phase » d’engagement de trois à six mois serait envisagée, uniquement sur la base du volontariat, avant 25 ans.
Mais alors que les premiers objectifs affichés du SNU sont de « favoriser un brassage social et territorial » et d’engager chaque jeune au service de la collectivité, lycéens, étudiants, associations de jeunesse et acteurs du service civique rejettent en bloc le principe même d’un engagement contraint. « La mixité, la cohésion, l’engagement ne se décrètent pas » a rappelé, dans une lettre ouverte publiée en avril, le Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire (Cnajep). Quelques mois plus tôt, le Conseil d’orientation des politiques jeunesse (rattaché au premier ministre) s’était également prononcé, dans un avis du 30 janvier, pour un service sur la base du volontariat.
Selon les préconisations du rapport, la période de « cohésion » aurait logiquement lieu pendant les vacances pour ne pas bousculer le temps scolaire. « C’est donc nous priver du droit aux vacances » s’étrangle Davy Beauvois, lycéen et secrétaire national de la Fédération des maisons des lycéens. Le jeune homme, comme nombre de ses pairs, est peu réceptif à une prolongation estivale de l’enseignement moral et civique reçu en cours au collège et au lycée. « Il n’y a pas de nécessité à nous rabâcher les valeurs de la République. Nous contraindre, c’est nous couper l’envie de les entendre », avertit-il.
Sur les campus, la Fédération des associations générales étudiantes (Fage, majoritaire) et l’Union nationale des étudiants de France (Unef) qui s’opposent vivement, notamment sur la réforme de l’accès à l’université, font sur ce point front commun et dénoncent un mauvais choix du gouvernement. « Un service obligatoire sera subi par la jeunesse et voué à l’échec. Si l’engagement est contraint, les jeunes feront tout pour s’y soustraire », avertit Jimmy Losfeld, président de la Fage. « Cela fait partie de la politique infantilisante et paternaliste d’Emmanuel Macron, qui veut imposer aux jeunes leur orientation par sa réforme de l’université et maintenant un service obligatoire. Nous nous y opposons et nous appellerons les jeunes à se mobiliser contre », poursuit, sur un front commun, Lilâ Le Bas, présidente de l’Unef.
« L’engagement doit être choisi »
Si les acteurs du monde associatif reconnaissent la justesse des objectifs visés par le gouvernement, ils s’inquiètent eux aussi de la méthode avancée pour y parvenir. « L’engagement se fait sur la base du volontariat par essence », rappelle Hubert Pénicaud, vice-président de France Bénévolat, association engagée pour le développement du bénévolat associatif. « L’engagement doit être choisi, poursuit Claire Thoury, déléguée générale d’Animafac, réseau d’associations étudiantes, le choix est aussi important que l’engagement. C’est un moyen d’affirmer son individualité, cela fait partie de la construction identitaire, du passage à l’âge adulte. » Suivre un service sous la contrainte ôterait toute valeur au geste. « Le risque est que cela casse même la notion d’engagement », analyse Claire Thoury. « Les jeunes ont le sentiment d’une mesure punitive, poursuit Hubert Pénicaud, c’est d’autant plus injuste qu’ils sont nombreux de cette génération à être engagés, dans une société qui ne leur propose pas beaucoup d’avenir. »
La notion d’obligation n’a cependant pas que des détracteurs. « Il y a une volonté d’engagement dans la jeunesse, souligne Romain Perez, économiste et auteur en avril 2017, d’un rapport sur le Service national pour tous. Mettre l’accent sur les missions d’intérêt général, c’est une manière habile de restaurer la notion d’obligation à un service national. La jeunesse aura du mal à retourner à un service militaire, mais participer à des actions de solidarité nationale ouvre la possibilité de dépasser la réticence de la jeunesse à s’obliger. » « Il faut associer le plus possible les jeunes à son élaboration. Il faut que cela vienne de leurs idées, du terrain », estime Gabriel Attal, député LRM.
Pour ceux qui demeureront réfractaires, le refus serait sanctionné par « l’impossibilité de passer le code, le baccalauréat ou un autre diplôme, l’exclusion des concours administratifs… », suggèrent les auteurs du rapport. C’est le paradoxe du « SNU », pensé comme un outil inclusif pour une partie de la jeunesse en perte de repères, mais qui pourrait exclure encore plus ceux qui n’y adhéreraient pas.