LES CHOIX DE LA MATINALE

Pour occuper l’accalmie post-Cannes, « La Matinale » vous invite à redécouvrir trois chefs-d’œuvre sortis de l’ombre et à ne pas passer à côté des deux derniers films de Paul Vecchiali, qui, à 88 ans, filme encore comme il respire.

« La Femme insecte » et « Reprise » : deux femmes rebelles

La Femme Insecte le film qui fit découvrir Imamura en France dès le 30 mai
Durée : 01:21

Deux chefs-d’œuvre à l’affiche cette semaine qui, séparés par les continents et les années, partagent de véritables affinités : La Femme insecte (1963), fiction de Shohei Imamura, et Reprise (1996), documentaire d’Hervé Le Roux. Ces deux films mettent au centre de leur propos une femme rebelle et opiniâtre qui oppose à son asservissement un refus moral, vital, enragé. Tous deux mettent en scène une longue quête menée ici par l’héroïne guidée par le cinéaste, là par le cinéaste à la poursuite de l’héroïne. Tous deux écrivent à travers le destin de leur personnage une chronique historique et politique de leur société. Enfin, l’une et l’autre de ces œuvres débordent résolument leur genre respectif, regardant chacune de l’autre côté du miroir.

Bien que ressortissant au domaine de la fiction, La Femme insecte n’est pas pour autant étrangère au registre documentaire. Première œuvre majeure de l’impertinent Shohei Imamura, le film retrace le parcours d’une modeste paysanne, de sa naissance à sa maturité, jalonné par les soubresauts de l’histoire japonaise contemporaine. Le cinéaste découpe donc la vie de Tome en une série de faits décisifs, d’occasions et de revers, articulés sans la moindre sentimentalité, mais selon des ellipses puissamment significatives, dessinant les contours de la condition sous-prolétarienne comme ferment vital de tout un pays.

BA - REPRISE de Hervé Le Roux
Durée : 01:41

Le documentaire d’Hervé Le Roux, Reprise, s’enracine là où la fiction d’Imamura finit, dans l’atmosphère de révolte des années 1960. Son héroïne est une ouvrière apparue dans un autre film, La Reprise du travail aux usines Wonder, tourné le 10 juin 1968 par des étudiants de l’Idhec, devant l’usine de Saint-Ouen, lors de la reprise du travail consécutive à la grève. De ce film, Hervé Le Roux a retrouvé les auteurs, les gens dans le cadre, les syndicalistes, le gauchiste, les ouvrières. De personnage en personnage, le cercle se rétrécit et le suspense monte au fur et mesure de l’enquête, posant la question de savoir si le cinéaste en quête de son héroïne va ou non la retrouver. Mathieu Macheret et Jacques Mandelbaum

« La Femme insecte », film japonais de Shohei Imamura (en version restaurée). Avec Sachiko Hidari, Kazuo Kitamura, Sumie Sasaki (2 h 03). « Reprise », documentaire français d’Hervé Le Roux (3 h 12).

« Cinq et la peau » : le violent exotisme de l’Asie

Cinq et la peau de Pierre Rissient : bande-annonce
Durée : 01:34

Pierre Rissient, secrète mais immense figure de la cinéphilie française, est mort dans la nuit du 5 au 6 mai, à l’âge de 81 ans, à quelques jours seulement de la projection par le Festival de Cannes de son film restauré Cinq et la peau, qui était sorti en 1982. Tourné en équipe légère en 35 millimètres, ce film fait déambuler un personnage nommé Ivan (Féodor Atkine) dans les rues de Manille. A sa voix, qui n’est pas audible, se superposent, sur le ton du monologue intérieur, plusieurs voix off. La juxtaposition étrange de ces voix et de ces images scelle un contrat désaccordé entre le monde et la conscience malheureuse qui le traverse, bercé par le Blue Moon de Billie Holiday. Entre le sexe et l’expression du dégoût de la société telle qu’elle tourne en ce début des années 1980, c’est l’oubli, la perdition, le violent exotisme de l’Asie, dans ses luxes comme dans ses vices, qui sont ici recherchés. En vérité, Cinq et la peau est le songe d’un lettré cinéphile, un journal intime transfiguré, dont les écarts, vus d’une époque aussi lointaine que la nôtre, sont entachés d’un dandysme un rien désuet. J. Ma.

« Cinq et la peau », film français de Pierre Rissient. Avec Féodor Atkine, Eiko Matsuda (1 h 35). Réédition, le 6 juin, en DVD (Carlotta Films).

« Les Sept Déserteurs » et « Train de vies » : Vecchiali, entre désir et deuils

LES 7 DESERTEURS Film de PAUL VECCHIALI BANDE ANNONCE
Durée : 01:05

Avec une persévérance et une prolificité qui forcent le respect, Paul Vecchiali, à 88 ans, continue à réaliser des films envers et contre tout. Les deux derniers, Les Sept Déserteurs et Train de vies, sortent la même semaine sur les écrans. Le premier réunit dans une clairière, où gisent les vestiges d’une église bombardée, un petit groupe d’hommes et de femmes, militaires et civils éparpillés ayant fui le grabuge d’une guerre indéterminée.

TRAIN DE VIES Film de Paul Vecchiali, Bande Annonce
Durée : 01:55

Le second est intégralement constitué des voyages ferroviaires d’Angélique, ex-danseuse étoile aux prises avec une libido insatiable, dont on suit, en filigrane de ses rencontres, le mariage tourmenté avec un violoniste timide. S’ils ne constituent pas exactement un diptyque – l’un est un récit de guerre, l’autre un drame sentimental –, les deux films n’en affichent pas moins une certaine solidarité de forme et de principe. Chacun se concentre notamment sur une scène confinée où les personnages sont amenés à se raconter, parfois jusqu’à l’impudeur. La scénographie assume clairement l’artificialité de décors en carton-pâte faits de bric et de broc. Les films peuvent être vus comme des pièces de théâtre, mais dont la théâtralité serait façonnée par les outils du cinéma. Ma. Mt.

« Les Sept Déserteurs » et « Train de vies », films français de Paul Vecchiali. Avec Marianne Basler, Astrid Adverbe, Brigitte Roüan, Simone Tassimot, Paul Vecchiali, Jean-Philippe Puymartin, Ugo Broussot, Bruno Davézé, Pascal Cervo (1 h 31 et 1 h 16).

Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 30 mai)

Nous n’avons pas vu :

  • Demi-sœurs, film français de Saphia Azzedine et François-Régis Jeanne
  • L’Extraordinaire Voyage du fakir, film belge, français et indien de Ken Scott
  • L’Homme-dauphin, sur les traces de Jacques Mayol, documentaire canadien, français, grec et japonais de Lefteris Charitos
  • La Naissance de Narcisse, film français d’Hugo Parthonnaud