Le Zimbabwe en route vers les premières élections de l’ère post-Mugabe
Le Zimbabwe en route vers les premières élections de l’ère post-Mugabe
Par Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional)
La date du premier tour a été fixée au 30 juillet. L’actuel chef de l’Etat, Emmerson Mnangagwa, est déjà en campagne.
C’est, en théorie, un scrutin comme le Zimbabwe en rêve, des élections générales comme le pays a cessé d’en connaître il y a des décennies, et la date vient d’en être fixée : ce sera, pour le premier tour, le 30 juillet. En quoi cette consultation doit-elle être exceptionnelle ou différente ? Trois choses ont caractérisé les élections zimbabwéennes depuis que l’opposition est devenue une menace, au début des années 2000 : la fraude, les violences et l’exclusion des observateurs non complaisants. Le mauvais génie de cette combinaison avait pour nom Robert Mugabe. Il a été renversé en novembre 2017.
Le pouvoir zimbabwéen, emmené par le président Emmerson Mnangagwa, qui termine le mandat de son prédécesseur, assure que le scrutin sera libre, transparent, démocratique. Le vieil autocrate déposé n’y prendra aucune part et des délégations d’observateurs ont été invitées par le nouveau président pendant la campagne, durant le scrutin et même après, au moment des éventuels recours. L’Union africaine, le Commonwealth (dont le Zimbabwe espère fermement que son exclusion sera bientôt annulée) et l’Union européenne (UE), entre autres, enverront donc des missions d’observateurs.
La dernière fois qu’une mission européenne s’était rendue au Zimbabwe, son chef, le Suédois Pierre Schori, en fut expulsé. C’était en 2002. Violences, fraudes, victoire de la ZANU-PF (le parti au pouvoir) envers et contre tout. En 2008, ce fut pire : l’opposition l’avait emporté au premier tour mais son chef, Morgan Tsvangirai, avait été contraint de se retirer : la campagne de violence contre ses militants et sympathisants avait déjà fait plus de cent morts et près de mille blessés. Une guerre civile en petit, très bien organisée, pour ne rien lâcher.
Une forme de coup d’Etat avait eu lieu entre les deux tours, alors que les généraux, face à la percée de l’opposition, avaient décidé qu’il fallait user d’une combinaison de brutalité paroxystique et de fraude pour inverser la tendance. Ils avaient, pour coordonner leur entreprise, la chance d’avoir un homme clé : Emmerson Mnangagwa.
Un test grandeur nature
Comment ce dernier parvient-il aujourd’hui à se réinventer en sauveteur national ? C’est toute l’étrangeté du coup d’Etat de novembre, dont il est sorti auréolé, lorsque les époux Mugabe, sur lesquels se cristallisait toute la rancœur d’un pays martyrisé, venaient d’être poussés sans ménagement de leur piédestal.
Peu de temps avant, Mugabe affirmait vouloir régner « jusqu’à ce que Dieu en décide autrement ». Le vieillard incontinent était surtout en train de mettre en place une succession dynastique dans laquelle sa femme, Grace, objet de toutes les détestations, aurait joué le rôle central tandis que la vieille garde militaire, alliée de Mnangagwa, aurait été exclue. Les généraux ont inversé le cours de cette histoire, dont ils n’aimaient pas la conclusion.
Mais à présent, il faut convaincre que le Zimbabwe est tiré d’affaire, lui aussi. Il importe donc, au premier chef, de faire la démonstration que les autorités, expurgées du couple Mugabe, peuvent offrir un nouveau départ ; ces élections en seront le test grandeur nature. Ce n’est pas gagné d’avance. L’opposition accuse déjà l’armée d’avoir déployé des militaires dans toutes les provinces pour encadrer le processus électoral. Certains officiers (peut-être 2 000) s’y trouvent déjà, dans le cadre d’un plan de relance de l’agriculture entièrement contrôlé par les proches de Mnangagwa.
Le fichier électoral, autre élément de contentieux et levier traditionnel des fraudes, sera-t-il, dans sa version « nettoyée », considéré comme acceptable par toutes les parties ? Pour le savoir, encore faudrait-il y avoir accès. La Commission électorale du Zimbabwe refuse de communiquer ses données et le détail du fichier : cela constitue une inquiétude de taille. Des processus judiciaires sont en cours pour briser cette obstruction.
Des cas de violences sont déjà apparus, ponctuellement. Organisation proche de l’opposition, la Coalition de crise au Zimbabwe commente : « Il y a eu assez de preuves de violences, autant physiques que psychiques, durant l’enregistrement sur les listes électorales, pour soulever nos craintes sur la possibilité d’une élection qui serait marquée par des violences et l’intimidation des électeurs. »
Le « crocodile » a fait sa mue
Cette fois, cependant, le scrutin ne se jouera pas à huis clos, comme en témoigne l’accord sur la mission d’observateurs européens signé lundi 28 mai entre l’UE et le Zimbabwe, représenté par son ministre des affaires étrangères, le général Sibusiso Busi Moyo. L’officier (désormais retraité) est celui qui avait lu en novembre à la télévision, en treillis, le communiqué informant le pays que les militaires prenaient le pouvoir et que Robert Mugabe était « en sécurité », c’est-à-dire déposé.
De ce coup d’Etat qui a toujours refusé de dire son nom (afin d’éviter les mécanismes de sanction, notamment régionaux), il est sorti une étrange situation politique, avec le même parti au pouvoir, les mêmes acteurs, mais un espoir fou, chez une grande partie de la population, de voir le pays sortir de son isolement pour retourner à la prospérité économique. Dans ce cadre, il ne paraît pas étrange que ces espoirs reposent sur un membre de la nomenklatura de la ZANU-PF, Emmerson Mnangagwa.
Plus personne désormais ne l’appelle par son nom de guerre, le « Crocodile ». Il a fait sa mue, instauré un nouveau ton, ouvert les fenêtres en grand, en apparence tout au moins. Les policiers harceleurs ont presque disparu des routes, le poids des multiples services de renseignement dans la vie quotidienne des Zimbabwéens a fortement diminué. L’Etat policier semble reculer.
Au-delà, « ED » (pour Emmerson Dambudzo) a promis d’opérer un miracle, de restaurer la légitimité du pouvoir zimbabwéen et d’attirer des milliards de dollars d’investisseurs du monde entier, afin de faire advenir un boom minier, de relancer l’agriculture et de faire venir le pays à l’âge d’or entrevu dans les premières années de l’indépendance. Jusqu’ici, ce sont surtout des promesses, celle d’une « nouvelle aube », sur fond d’élan studieux.
Le chef de l’Etat se fait prendre en photo au bureau, le dimanche, pour signifier qu’il ne ménage pas ses efforts. Manque de chance, lors de la dernière opération de communication dominicale, tout le monde a repéré, sur la photo aussitôt tweetée, son bel attaché-case Louis Vuitton qui figure au prix de 8 600 dollars (environ 7 400 euros) sur le site de la marque de luxe.
Un pilier de l’ordre ancien
Emmerson Mnangagwa mène déjà sa campagne électorale, habillé des mêmes costumes aux couleurs de la ZANU-PF que son prédécesseur. Une façon d’endosser l’habit du pouvoir et de cueillir la bonne partie de l’héritage symbolique de Robert Mugabe – le nationaliste, l’homme de fer –, tout en prétendant avoir renversé un ordre ancien dont il était pourtant un pilier. Un exercice compliqué, tant les deux hommes ont été proches.
Le « professeur de violence » Robert Mugabe avait participé à toutes les élections depuis 1980. Et pour les remporter, il jugeait légitime de faire tuer, torturer, estropier les militants et électeurs du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), de son vieil adversaire Morgan Tsvangirai. Dans le dispositif électoral du « camarade Bob », il y avait plusieurs armes : l’armée, les services de sécurité, mais surtout un homme qui veillait sur les chiffres et sur bien d’autres choses non avouables : Emmerson Mnangagwa, justement.
Est-il homme à perdre les élections, désormais ? Les militaires, qui ont la haute main sur le pouvoir, ont-ils l’intention de laisser les rênes sur le cou de l’opposition et de jouer le scrutin à la loyale ? Il est impossible de le prédire. Mais la réponse, après le 30 juillet, ne sera pas un mystère.