« Les Sept Déserteurs » et « Train de vies » : Paul Vecchiali, entre désir et deuils
« Les Sept Déserteurs » et « Train de vies » : Paul Vecchiali, entre désir et deuils
Par Mathieu Macheret
A 88 ans, l’infatigable cinéaste français offre simultanément deux films.
La persévérance et la prolixité avec lesquelles Paul Vecchiali, 88 ans, continue à réaliser des films envers et contre tout forcent le respect. Ce vétéran renégat, qui fut dans les années 1970 et 1980 l’auteur d’une belle série de films à la fois rentre-dedans et sentimentaux (Femmes Femmes, Corps à cœur…), puis chapeauta l’une des bandes les plus secrètement fertiles du cinéma français (la « Diagonale »), avant de trouver un nouveau souffle dans les petites productions maison en numérique, est animé d’un tel appétit qu’il a tourné pas moins de cinq films entre 2015 et 2018. Les Sept Déserteurs et Train de vies, ses deux dernières œuvres, sortent la même semaine sur les écrans.
Les Sept Déserteurs réunit dans une clairière, où gisent les vestiges d’une église bombardée, un petit groupe d’hommes et de femmes, militaires et civils éparpillés ayant fui le grabuge d’une guerre laissée hors champ, mais dont les grondements font rage alentour. Train de vies, quant à lui, est constitué des voyages ferroviaires d’Angélique (Astrid Adverbe), une ex-danseuse étoile aux prises avec une libido insatiable, dont on suit, en filigrane de ses rencontres, le mariage tourmenté avec un violoniste timide nommé Jérôme (Pascal Cervo). S’ils ne constituent pas exactement un diptyque – l’un est un récit de guerre, l’autre un drame sentimental –, les deux films, tournés dans la foulée, n’en affichent pas moins une certaine solidarité de forme et de principe.
Beauté particulière
Ils ont d’abord en commun de reposer sur des dispositifs restreints, et donc un peu « casse-gueule ». En effet, chacun se concentre sur une scène confinée – une clairière pour l’un, une simple rangée de sièges dans un train pour l’autre – fonctionnant comme une chambre d’écho : les personnages sont amenés à s’y raconter, s’y confesser, s’y dévoiler, parfois jusqu’à l’impudeur. La scénographie assume l’artificialité de décors en carton-pâte faits de bric et de broc. Si ce dénuement et cette frontalité peuvent rebuter, ils n’en confèrent pas moins aux deux films une beauté particulière, qui consiste à inventer à partir de trois fois rien leurs propres codes de représentation. Ainsi peuvent-ils être vus comme des pièces de théâtre, mais dont la théâtralité serait façonnée par les outils du cinéma.
Les deux films rejouent, en mode mineur, l’un des grands motifs qui traversent l’œuvre de Vecchiali : la proximité indémêlable du désir et de la morbidité. Dans Les Sept Déserteurs, le vacarme des bombes, l’imprévisibilité des tirs et des balles perdues cernent les personnages d’une mort imminente, qui accentue paradoxalement leurs effusions de sensualité, la recherche d’une dernière jouissance. Chacun, en se racontant, retrace une sorte d’histoire sexuelle de lui-même, tient la chronique de ses plus profonds désirs. Dans Trains de vie, le temps du voyage invite, de la même façon, à l’aveu érotique. Mais on se rend compte peu à peu que la frénésie sexuelle d’Angélique cache une angoisse macabre, et cède bientôt place à un douloureux travail de deuil. L’expression du désir consiste toujours, ici, à accepter la dissipation d’une force vitale.
Au centre de l’art vecchialien réside justement le souci de l’expression, qui passe par son goût des acteurs insolites. Habitués (Astrid Adverbe, Pascal Cervo), revenants (Marianne Basler, Brigitte Roüan) et nouveaux venus (Jean-Philippe Puymartin, Bruno Davézé) se partagent la distribution. La troupe, quasi identique dans les deux films, miroite de physionomies et de tessitures vocales singulières, jusque dans leurs dissonances, comme un petit orchestre bigarré. Mais le plus frappant est encore la façon dont la parole est cernée par des environnements sonores menaçants : ici, les explosions guerrières, là, le ronronnement des wagons dialoguent avec les propos des personnages. L’écoute est primordiale, pour mieux suggérer le vacarme d’un monde extérieur dont chaque personnage ressent la violence jusque dans sa chair.
LES 7 DESERTEURS Film de PAUL VECCHIALI BANDE ANNONCE
Durée : 01:05
TRAIN DE VIES Film de Paul Vecchiali, Bande Annonce
Durée : 01:55
« Les Sept Déserteurs » et « Train de vies ». Films français de Paul Vecchiali. Avec Marianne Basler, Astrid Adverbe, Brigitte Roüan, Simone Tassimot, Paul Vecchiali, Jean-Philippe Puymartin, Ugo Broussot, Bruno Davézé, Pascal Cervo (1 h 31 et 1 h 16).