Devant le Sénat, à Paris, le 29 mai. / CHARLES PLATIAU / REUTERS

Avis aux amateurs de statistiques : samedi 2 juin, lorsque commencera la treizième séquence de grève en pointillé contre la réforme ferroviaire, le record de 1995 (vingt-cinq jours de grève dont vingt-deux d’affilée) sera égalé, voire battu, selon que l’on fait démarrer le mouvement au jeudi 22 mars ou au lundi 3 avril.

Mais, au fond, peu importe. Ce qui est sûr, c’est que le conflit se compte désormais en mois. Et il commence à peser financièrement. Evidemment, la grève vide les comptes en banque des salariés. Les syndicats s’apprêtent à redistribuer le contenu de leurs diverses caisses de solidarité aux grévistes les plus touchés par le mouvement (dont l’impressionnante cagnotte de 1,18 million d’euros collectée sur Internet auprès de 30 000 donateurs).

Leur querelle avec la direction sur le non-paiement des jours de repos des grévistes (qui augmente de 15 % environ le coût de la grève pour le salarié) a pris un tour judiciaire depuis plusieurs semaines. Dernier épisode en date : le tribunal de Bobigny, qui devait examiner la question jeudi 31 mai, a renvoyé au 7 juin l’audience opposant la direction de l’entreprise ferroviaire à la CGT, l’UNSA et la CFDT.

Coûteuses mesures de compensation envers ses clients

Mais la grève aura aussi des effets non négligeables dans les comptes de la SNCF. Selon une source proche du dossier, le conflit a pour le moment coûté autour de 400 millions d’euros à l’entreprise. « Cette estimation prend en compte le coût subi, explique cette source, mais aussi le coût voulu ; c’est-à-dire, les gestes commerciaux envers les clients et les usagers déjà annoncés pour les abonnés des TER, les titulaires du passe Navigo en Ile-de-France et pour les jeunes utilisateurs des TGV qui ont la carte TGVmax. »

L’équivalent d’un tiers du bénéfice net 2017 du Groupe SNCF a déjà été englouti dans le conflit. Heureusement pour l’entreprise, le fléchissement de la grève ralentit les pertes. Lors du 24e jour de grève, le 29 mai, plus de 8 500 trains (contre 14 000 environ en temps normal) ont circulé, alors qu’on en dénombrait moins de 3 000 au premier jour de grève. Sur le TGV, par exemple, il y avait 14 % de trains en circulation au début du conflit, contre 66 % désormais.

Ce constat – 400 millions de pertes à fin mai – n’en reste pas moins provisoire. L’entreprise s’apprête à annoncer de nouvelles mesures de compensation envers ses clients, qui alourdiront la facture. Mais, surtout, même si elle faiblit, la grève unitaire voulue par le front des syndicats (CGT cheminots, UNSA ferroviaire, SUD Rail et CFDT Cheminots) n’est pas terminée.

CGT et SUD pas convaincus des « avancées » sociales

Le mouvement à quatre durera probablement le temps que le processus législatif instituant le « nouveau pacte ferroviaire » aille à son terme. Pour rappel, le projet de loi a été voté en première lecture par l’Assemblée nationale, le 17 avril. Il est examiné, depuis mardi 29 mai, au Sénat, où les élus communistes et apparentés mènent la fronde contre la réforme. Alors que, mercredi 30 mai au soir, l’examen du texte avait à peine avancé, l’ensemble des 267 amendements devaient, en théorie, avoir été examinés jeudi 31 mai. Le vote solennel par les sénateurs a été programmé au mardi 5 juin.

L’étape suivante, la commission mixte paritaire (CMP), qui recherche une conciliation entre députés et sénateurs afin d’aboutir à un texte commun, est programmée au 14 juin. « Le gouvernement et les membres des deux assemblées souhaitent que la CMP soit conclusive, affirme un bon connaisseur du dossier. Compte tenu des amendements sociaux ajoutés au Sénat avec l’aval du gouvernement, ce sera probablement à ce moment-là que la CFDT et l’UNSA décideront de quitter le mouvement. D’autant plus que le congrès de la CFDT, qui se tient du 4 au 8 juin, sera terminé. »

Restent les deux autres organisations : la CGT et SUD n’ont pas caché que les « avancées » sociales ajoutées par les sénateurs ne les ont pas convaincus. Elles iront probablement au bout de la grève programmée, soit le 28 juin, et font planer la menace de continuer au-delà.