Parcoursup : des algorithmes qui « manquent de transparence »
Parcoursup : des algorithmes qui « manquent de transparence »
Par Séverin Graveleau
Les candidats souhaitent que soient publiés les critères de classement utilisés par chaque établissement.
Le 22 mai, Joseph G., lycéen en terminale scientifique à Lyon, a découvert sur le portail Parcoursup qu’il n’était pas accepté dans la double licence sélective qu’il visait à l’université de Lille. « J’ai immédiatement envoyé un courrier à l’université pour connaître les critères et modalités d’examen de ma candidature, comme le prévoit la loi orientation et réussite des étudiants (ORE) », explique au Monde le jeune homme qui connaît ses « droits ». Joseph G., qui devra patienter encore plusieurs semaines pour obtenir une réponse, regrette que la loi « ne permette pas d’en savoir plus sur les critères précis d’admission avant de postuler à telle ou telle filière sur Parcoursup. Ça manque un peu de transparence ». Alors que les témoignages de candidats manifestant leur incompréhension se multiplient depuis la publication des résultats, la question de la transparence refait surface.
Un jour auparavant, le ministère de l’enseignement supérieur se félicitait dans un communiqué de presse de « la volonté du gouvernement de donner la plus grande transparence à la nouvelle procédure d’accès à l’enseignement supérieur », en publiant le « code informatique des algorithmes » de Parcoursup. La publication de l’algorithme est une demande ancienne de l’association Droits des lycéens. C’est elle qui avait obtenu en 2016 la publication d’une partie du code source d’Admission post-bac (APB), l’ancienne procédure. « Nous saluons cet effort inédit de transparence du ministère, commente Hugo Colin, président de l’association, mais, en 2018, c’est sur les algorithmes locaux [ceux des établissements] qu’il faut communiquer. » L’association va d’ailleurs demander officiellement au ministère la publication « de chaque algorithme (informatisé ou non) local ».
« Transfert de responsabilité »
L’intérêt de l’exercice de transparence du ministère est en effet limité. Car là où l’algorithme d’Admission post-bac attribuait lui-même les places dans les filières universitaires non sélectives, en fonction de critères prédéfinis (origine géographique, rang du vœu) et contesté (tirage au sort), celui de Parcoursup, publié par le ministère, « est un algorithme secondaire qui ne fait que modifier à la marge les classements déjà effectués par les formations afin d’y intégrer un certain pourcentage de boursiers ou de candidats hors académie », complète Me Merlet-Bonnan, l’avocat de l’association. Autrement dit : « Il y a eu un transfert de responsabilité, les établissements sont devenus les principaux acteurs de la sélection. »
Or, face à la masse des dossiers reçus, les commissions d’examen des vœux ont en partie automatisé les classements, en pondérant comme elles le voulaient les éléments du dossier de l’élève (notes, appréciations du conseil de classe, lycée d’origine, etc.) avec, entre autres, « l’outil d’aide à la décision » proposé par Parcoursup. Comme le montre la procédure de classement des candidatures dans la filière Sciences et technique des activités physiques et sportives (Staps), rendue publique récemment.
C’est cette pondération précise, spécifique à chaque formation, que nombre d’acteurs voudraient voir aujourd’hui publiée. Une publication que le gouvernement n’envisage pas pour l’instant, arguant que les candidats ont pu prendre connaissance des compétences attendues dans chaque formation, ainsi que des critères généraux qui seraient utilisés pour les évaluer. Il évoque aussi une « transparence des données » inédite, grâce au tableau de bord en ligne permettant de suivre quotidiennement l’évolution des propositions faites aux candidats.
Ces exercices de transparence étant jugés suffisants, le gouvernement a fait inscrire dans la loi ORE un alinéa assurant le « secret des délibérations des jurys » chargés d’examiner les candidatures, et limitant la transparence à la possibilité pour les candidats d’obtenir a posteriori une explication sur la décision prise.
En mai, à l’occasion du passage au Parlement du projet de loi relatif à la protection des données personnelles, les sénateurs ont tenté, à la quasi-unanimité, de faire supprimer l’alinéa en question. En vain. La sénatrice centriste Sophie Joissains dénonce ce qu’elle estime être une « dérogation » à la loi votée en octobre 2016, mais aussi au règlement général sur la protection des données personnelles entré en application le 25 mai. Elle rappelle que ces textes « prévoient que toute décision administrative prise à partir d’un algorithme voit ses règles publiées ». Reste à savoir si les traitements automatisés utilisés parfois dans les facs entrent dans ce cadre…
« Il n’existe pas d’algorithmes locaux », affirme Gilles Roussel, à la tête de la conférence des présidents d’université (CPU). Il assure que la diversité des candidats dans les formations (bacheliers généraux, technologiques ou professionnels, étudiants en réorientation, étrangers, etc.) oblige à « des appréciations qui n’ont rien d’algorithmiques ». Même son de cloche du côté du président de la commission juridique de la CPU, Emmanuel Roux, pour qui on ne peut pas parler d’algorithme mais d’« outil d’aide à la décision ». Un outil dont le paramétrage « ne vaut pas décision »… et n’appellerait donc pas, juridiquement, à une publication.
L’association Droits des lycéens, qui accompagne juridiquement les candidats, n’a reçu pour l’instant que deux demandes d’aide. Mais « la nécessité d’une transparence n’est pas seulement légale, commente son président Hugo Colin, elle est aussi morale, afin que l’on puisse débattre démocratiquement de ces critères ».
569 322
C’est le nombre de candidats qui, le 31 mai, avaient reçu au moins une proposition d’admission sur Parcoursup. Cela représente 70 % de l’ensemble des 812 000 candidats cette année. Le 29 mai le ministère de l’enseignement supérieur s’est félicité d’avoir atteint « avec une très forte avance » son objectif de « deux tiers » de candidats avec une proposition avant la mi-juin. Une performance à relativiser : en 2017, 80 % des candidats avaient reçu une proposition dès le premier jour de la procédure, dont plus de 400 000 sur leur premier vœu. Cette année les candidats n’ayant pas hiérarchisé leurs vœux, il est impossible de dire si les propositions faites correspondent à l’un de leurs vœux préférés ou non.