Bigben, l’éditeur de jeu vidéo qui aimerait enfin monter en gamme
Bigben, l’éditeur de jeu vidéo qui aimerait enfin monter en gamme
Par William Audureau
Le spécialiste des simulations sportives de niche vient de lancer « Tennis World Tour ». Malgré un démarrage « chaotique », il veut désormais concilier prudence et qualité.
Avec 41/100 de note moyenne sur Metacritic, « Rugby 18 » est emblématique des simulations sportives mal aimées de Bigben Interactive. Une situation amenée à évoluer sur le long terme. / Bigben Interactive
« La qualité du jeu, on en parlera sûrement », glisse d’un ton un peu gêné Alain Falc. La question portait sur les chiffres de ventes de Tennis World Tour, sorti mardi 26 mai sur consoles. Mais le président fondateur de l’éditeur Bigben Interactive le sait bien : entre un 3/10 sur Gamekult, un 9/20 sur JeuxVidéo.com et un « double faute/10 » dans nos colonnes, sa dernière production s’est pris un revers smashé de la critique à son lancement.
Et c’est loin d’être la première fois : si sa simulation de tennis émarge à 49/100 sur l’agrégateur de notes Metacritic, Rugby 18 est à 41, Handball 17 à 43, et son plus grand succès critique, le jeu de rallye WRC 6, à 66. « On aimerait arriver à 80 sur 100 à l’horizon de quelques années », veut néanmoins croire M. Falc.
L’entreprise, quatrième éditeur français avec 245 millions d’euros de chiffre d’affaires, espère même s’imposer à terme comme un acteur mondial sur le marché des jeux vidéo à budget intermédiaire.
Tennis World Tour assuré d’être bénéficiaire
Déjà, le succès commercial commence à venir. Quand Cyberbike, un jeu de vélo livré avec un faux vélo en plastique pour Wii, s’écoulait à 50 000 pièces en 2009, la simulation automobile WRC 6 a franchi le million et demi de ventes dans le monde en 2016. Quant à Tennis World Tour, deuxième meilleure vente sur PlayStation 4 la semaine de sa sortie, il devrait faire encore mieux.
« Tennis World Tour », très critiqué à son lancement, est un pari sur le long terme pour Bigben. / Bigben Interactive
Reste désormais à convaincre les joueurs que l’éditeur sait faire autre chose que des productions de qualité médiocre. « Le départ a été chaotique », reconnaît-il à propos de Tennis World Tour, un projet qui n’était terminé qu’à 20 % à quelques semaines de sa sortie. Il a néanmoins refusé de repousser cette dernière pour ne pas perdre le bénéfice des campagnes marketing déjà engagées, et joue désormais au pompier.
Les amateurs de tennis s’y amusent, jure M. Falc, et grâce au dématérialisé, le jeu sera constamment amélioré dans les mois à venir, avant une réédition peaufinée l’an prochain. Le PDG de Bigben n’est pas acculé. « On a mis 500 000 pièces sur le marché mais avec beaucoup de distributeurs qui n’ont pas de droit de retour, donc on sait qu’on sera bénéficiaire. »
« Quand on fait une connerie, on la paie »
Le manque d’ambition de l’éditeur lillois peut agacer. Mais Alain Falc ne veut plus céder une seconde fois à la mégalomanie. Depuis sa création en 1981, il a vendu des montres, puis des cadeaux d’entreprises, avant de se spécialiser dans les accessoires pour consoles puis pour smartphones. Ces derniers représentent aujourd’hui la moitié de son chiffre d’affaires. Pourtant, une décision a failli être fatale à son entreprise.
« WRC » a marqué le retour de Bigben à l’édition et la production de jeux vidéo, après la diette des années post-Wii. / Bigben Interactive
En 2001, Bigben Interactive devient le distributeur européen exclusif de la Dreamcast, la dernière console de l’ancien géant japonais SEGA. Or la machine est déjà en fin de vie, et l’ancien vendeur de montres n’est pas structuré pour un marché aussi coûteux. Trois ans plus tard, Bigben Interactive frôle le dépôt de bilan. Avec le recul, il admet avoir fait preuve d’excès de confiance :
« Pendant vingt ans, j’ai fait 200 millions de francs de chiffre d’affaires, on finit par avoir l’impression que tout ce qu’on tente marche, et quand on fait une connerie on la paie. Il faut apprendre à mesurer les risques. »
La loi des chiffres
Depuis, celui qui a « davantage appris en trois ans dos au mur qu’en vingt ans de succès » prône la prudence dans les affaires. Celle-ci se retrouve dans l’enveloppe globale allouée au financement de ses simulations, comprise entre 3 et 6 millions d’euros par épisode. Des sommes très éloignées des ténors. « Dans le sport, le gros problème, c’est qu’on comparera toujours nos jeux à FIFA, or un FIFA, c’est des centaines de millions de budget », rappelle-t-il. C’est pourtant là que se joue la différence en termes de qualité.
A ceux qui désespèrent de voir un jeu de rugby du niveau d’ambition et de réalisme d’un FIFA 18, il oppose la loi des chiffres :
« Pour faire un bon jeu de rugby, il faudrait à peu près 15 millions. Impossible à rentabiliser juste avec l’Angleterre, la France, l’Italie, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud, la dizaine seulement de pays qui achètent des jeux de rugby. »
« Handball 16 » est l’exemple typique du jeu au marché trop restreint pour justifier des dépenses de plusieurs dizaines de millions d’euros. Le budget et la qualité s’en ressentent. / Bigben Interactive
Pour autant, pas question de se contenter éternellement de productions au rabais. « Sur Rugby, on a travaillé avec un studio canadien, on a sorti deux jeux de très basse qualité, on était très mécontents », jure-t-il. Le budget, Alain Falc veut le mettre, mais étalé sur plusieurs années et plusieurs épisodes, en capitalisant sur les opus précédents.
« On espère que le prochain Rugby atteindra 60-65 »
Un nouveau Tennis World Tour est d’ores et déjà envisagé pour 2020-2021. Un nouvel épisode de sa simulation de rugby est prévu, après avoir confié la licence à un autre studio, le parisien Eko Software. WRC 5 a débuté à 50 sur 100 de note moyenne sur les agrégateurs de critiques, sa suite est passée au-dessus de 60, et WRC 7 a atteint 70. Une vraie méthode industrielle, explique-t-il :
« On essaie de monter en qualité sur plusieurs jeux. On espère que le prochain “Rugby” sera bon, qu’il atteindra 60-65 sur Metacritic. Si c’est le cas, ce sera gagné, et on pourra encore gagner 5 à 10 points sur le suivant. Sinon, malheureusement on arrêtera le rugby, on ne peut pas perdre sur tous les jeux. »
A la mi-mai, Bigben Interactive a même créé la surprise en rachetant Cyanide, un studio parisien historique. Spécialisé dans les simulations cyclistes depuis 2000, il a déjà opéré cette lente montée en gamme. Pro Cycling Manager 2008 émargeait à 48/100 sur Metacritic il y a dix ans, le dernier opus en date a franchi les 70 sur 100.
Tour de France 2015, le jeu vidéo. / Cyanide
Promesses
Avec Cyanide, Bigben a également acquis un studio capable de créer des jeux épisodiques narratifs appréciés, comme The Council. « On va avoir un catalogue beaucoup plus vaste et beaucoup plus équilibré. On sera toujours sur des niches double AA qui intéressent des passionnés, comme des sportifs, mais qui peuvent être aussi des jeux d’action, d’aventure par épisode, de management… », énumère-t-il.
En mars 2019, Bigben Interactive commercialisera par ailleurs Sinking City, un jeu ukrainien en monde ouvert qu’il a financé à hauteur de 10 millions d’euros – son record. « Et cette fois, s’il n’est pas tout à fait fini, on le décalera, car on veut qu’il soit parfait quand il sortira. »
Le jeu en monde ouvert « The Sinking City », premier titre à 10 millions d’euros de budget de Bigben, ne sortira que s’il est parfait, jure l’éditeur. / Bigben Interactive