Dans le centre du Mali, « c’est la souffrance, la fatigue et la peur qui nous ont poussés à fuir »
Dans le centre du Mali, « c’est la souffrance, la fatigue et la peur qui nous ont poussés à fuir »
Par Morgane Le Cam (Bamako, correspondance)
L’abandon de l’Etat et la prolifération des armes aggravent les affrontements entre Dogon et Peuls qui ont déjà fait 70 morts depuis le début de l’année.
Un seau en plastique, c’est l’objet que désigne Oumou Barry pour exprimer son dénuement. Cette mère de famille a fui, fin avril, son village du cercle de Koro, dans le centre du Mali, pour se figer sous une tente à Dialakorobougou, en périphérie de Bamako. Comme elle, près de 140 Peuls, selon l’association Tabital Pulaaku, se sont réfugiés ces dernières semaines à proximité de la capitale malienne.
Tous ont tenté d’échapper aux violences intercommunautaires qui opposent les Peuls, communauté majoritairement composée d’éleveurs, aux Dogon, traditionnellement agriculteurs. Selon l’ONU, depuis début 2018, plus de 70 personnes ont été tuées dans ces conflits qui endeuillent le centre du Mali. Des affaires de vengeance, d’assassinats qui se répondent, de communautés qui s’arment.
« C’est la souffrance, la fatigue et la peur qui nous ont poussés à fuir. Nous ne pouvions pas rester car les dozos [chasseurs traditionnels chez les Dogon] nous assassinent. Si nous étions restés, cela aurait été notre tour », murmure Oumou Barry, affaiblie, avant de raconter l’exécution de son père. Face à elle, une femme s’énerve : « Tout ça, c’est à cause de la terre ! Les Dogon veulent récupérer nos terres pour pouvoir cultiver et ne pas être dérangés par nos animaux. »
Les équilibres traditionnels bouleversés
Dans le cercle de Koro comme ailleurs au Mali, les conflits entre agriculteurs et éleveurs sont récurrents. Mais, pour le docteur Bréma Ely Dicko, chef du département de socioanthropologie de l’université des lettres et des sciences humaines de Bamako, l’amenuisement des ressources vivrières et la montée de l’insécurité au centre a mené à l’explosion : « Dans la région de Mopti, il y a en réalité une compétition au sujet de ressources, qui s’amoindrissent. »
Selon M. Dicko, la création de communes par l’Etat dans les années 1990 a encore davantage bouleversé les équilibres existants entre éleveurs et agriculteurs. Des villages sont apparus, d’autres ont été divisés, entraînant des conflits liés à la répartition des ressources et modifiant les pistes de transhumance empruntées par les éleveurs. « Les médiateurs locaux traditionnels de ces conflits ont été dépassés et le découpage en communes a mis sur pied de nouvelles autorités étatiques qui n’ont pas su gérer la situation », raconte-t-il.
En janvier 2013, lorsque les groupes djihadistes qui contrôlaient déjà le nord du Mali arrivent aux portes de Konna, dans la région de Mopti, les agents de l’Etat commencent à fuir. Cinq ans plus tard, l’administration n’a pas encore été réinstallée, comme le souligne le rapport du secrétaire général des Nations unies sur le Mali du 29 mars : « Le nombre de représentants de l’Etat redéployés dans les régions du nord et du centre a diminué de 6 % au cours de la période [janvier-mars 2018]. Au 1er mars, dans les régions septentrionales et dans la région de Mopti, seuls 22 % d’entre eux étaient à leur poste. »
Dans un contexte d’insécurité grandissante et d’abandon de l’Etat, les populations s’arment, créent des milices. « Les gens en profitent pour régler des vieux problèmes et, dans un contexte de prolifération des armes, cela entraîne des conflits sanglants », explique M. Dicko.
Prolifération de milices
Qu’ils soient Peuls et ou Dogon, tous les interlocuteurs s’accordent sur le fait que les autorités n’ont pas joué leur rôle. « Nous les avons alertées dès 2013 par écrit pour leur dire : “Attention, il y a tellement d’armes qui circulent, il va y avoir un problème”. Ils ne nous ont jamais répondu », assure Mamadou Togo, le président de Ginna Dogon, une association de défense de la culture dogon, considérant que « si les dozos dogon se sont organisés en créant la milice Dan na Ambassagou, c’est parce qu’ils n’avaient pas le choix. Les Peuls attaquaient nos villages, ils ne pouvaient pas rester les bras croisés regarder leurs parents se faire tuer. »
Selon lui, au moins 2 000 membres de sa communauté ont fui des violences perpétrées par des Peuls. Du côté des associations de défense des Peuls, le chiffre de 3 000 déplacés circule. Depuis plusieurs mois, les milices prolifèrent, la dernière en date étant l’Association pour le Salut du Sahel (ASS). Créé fin mai dans la région de Mopti, ce groupe peul veut venir à bout de la milice dozo Dan na Ambassagou. Pour contrer cette escalade, le gouvernement malien a adopté en août 2017 un Plan de sécurisation intégré des régions du Centre (PSIRC) prévoyant notamment le déploiement de 4 000 militaires.
« Il y a eu un déploiement des forces armées et de sécurité dans certaines localités du cercle de Koro, à Diankabou, à Dinangourou et à Diougani, ce qui va nous permettre de circonscrire ce conflit », promet le général Sidi Alassane Touré, gouverneur de la région de Mopti. Sous sa tente de fortune de Dialakorobougou, Oumou Barry préfère encore attendre avant de rentrer chez elle.