Le tennis français va mal et ça risque de durer
Le tennis français va mal et ça risque de durer
Par Alexandre Pedro
En dehors de Caroline Garcia, le tennis tricolore a raté son Roland-Garros 2018. Plutôt que d’un accident, cette contre-performance relève bien d’un mal plus profond, estime notre journaliste Alexandre Pedro.
Le Français Lucas Pouille, éliminé au 3e tour de Roland-Garros, le 1er juin 2018 / GONZALO FUENTES / REUTERS
Chronique. C’est la phrase que l’on redoute mais que l’on finit par entendre au détour d’un flash radio, d’une notification sur son téléphone ou d’une blague acide sur Twitter : « Il n’y a déjà plus de Français à Roland-Garros. » Si Caroline Garcia poursuit son petit bonhomme de chemin dans le tableau féminin et confirme qu’elle n’est pas 7e mondiale par hasard, les garçons manquent déjà à l’appel depuis leur dernier samedi noir. Plus un représentant du pays hôte en huitième de finale, il s’agit d’une première depuis 2007. Mais ce n’est ni une surprise et, pire encore, ni une réelle déception dans le fond.
La semaine prochaine dans rendez-vous en terre inconnue, des joueurs français découvriront la deuxième semaine de Roland Garros.
— FFLose (@Fédé 🇫🇷 de la Lose)
En janvier pour l’Open d’Australie, les Français prenaient déjà l’avion du retour avant la seconde semaine. Et ne parlons même pas de la saison sur terre battue avant Roland-Garros, véritable désert des Tartares en dehors d’un quart de finale de Richard Gasquet à Monte-Carlo. Alors au moment où la génération des nouveaux Mousquetaires (Gasquet, Monfils, Tsonga et Simon) s’apprête à bientôt passer la main et navigue entre la 30e et la 60e place au classement ATP, la relève inquiète. Héritier désigné et esseulé, Lucas Pouille (24 ans) traverse une crise de résultats depuis plusieurs mois. Le Nordiste peine à assumer son statut de leader et les espoirs nés depuis sa formidable victoire contre Rafael Nadal à l’US Open en 2016. Derrière lui, le vide a de quoi donner le vertige pour l’instant en dehors de Corentin Moutet, 19 ans et vainqueur de son premier match à Roland-Garros la semaine dernière.
Comment juger de la bonne santé d’une nation dans un sport ? Comme en économie, tout dépend des indicateurs choisis. A la Fédération française de tennis (FFT), on s’est souvent retranché derrière la force du nombre. Cette fameuse densité dans le top 100 où les Français sont depuis vingt ans souvent les plus nombreux. Lors de la dernière publication du classement ATP, ils étaient encore dix et seuls les Etats-Unis faisaient aussi bien. Problème, sur ces dix représentants, six sont trentenaires et deux (Benoît Paire et Adrian Mannarino) n’en sont pas loin.
La fin d’un modèle ?
Grâce à la manne de Roland-Garros, la FFT ne manque pas de moyens et son système très centralisé a permis cette permanence au plus haut niveau quand un pays comme la Suède –où le rôle de la fédération est mineur – a disparu de la carte après ses Trente Glorieuses entre 1970 et 2000 (Borg, Wilander, Edberg, Norman, Söderling). « Mais le meilleur système ne peut pas produire des champions ; être champion, c’est une aventure individuelle… Mais champion on ne peut pas l’inventer. » L’auteur de cette phrase n’est pas n’importe qui. Il s’agit de Philippe Chatrier, président historique de la fédération de 1973 à 1993 et qui à ce titre a contribué à mettre en place le dit système.
Le tennis français a connu son lot d’électrons libres avec Cédric Pioline (finaliste à l’US Open en 1993 et coaché au téléphone par Pierre Dumont), Marion Bartoli et les méthodes déconcertantes de son père Walter. Un modèle que reproduisent Caroline Garcia et son entraîneur de père, qui mènent leur PME familial à distance respectable de la FFT. Louis-Paul Garcia plaidait récemment dans Le Monde pour son modèle. « Si vous regardez bien, de moins en moins de joueurs et joueuses sortent du giron fédéral. Les nouveaux projets sont souvent familiaux. »
Volant un peu au secours de la victoire, le président de la FFT, Bernard Giudicelli, saluait dimanche sur Eurosport le parcours de la Lyonnaise : « Si son père n’avait pas été là, elle n’aurait pas ces résultats. » Cocasse en parlant d’une joueuse qui n’est même plus licenciée à la FFT et avait été mise à l’index pour avoir mis sur pause la Fed Cup pour privilégier sa carrière personnelle. Et dont les résultats depuis un an valident ce choix.
« Une Fédération sans résultat doit se remettre en question »
Du côté masculin, la Coupe Davis a souvent été érigée comme priorité faute de mieux. Oui, la génération Tsonga-Gasquet a fini par soulever le Saladier d’argent (avec une victoire de Lucas Pouille face au Belge Steve Darcis sur un bras et un parcours très favorable), oui la force du nombre a fini par payer, mais le tennis français a dansé dimanche soir à Lille au-dessus du vide qu’il risque de bientôt contempler. Richard Gasquet s’en inquiétait dans un entretien au Monde. « On a quand même vécu dix très belles avec de très bons joueurs. J’espère que lorsque je vais m’arrêter, je pourrais aller voir des matchs avec des Français dans le top 10. En France, on attend des top 10, pas des top 50. »
Une façon pour lui de faire passer le message suivant : « Vous allez peut-être apprendre à nous regretter, moi et les Tsonga, Simon et Monfils. » Le tennis français en est là : bientôt nostalgique d’une génération qui n’a pas tenu toutes ses promesses et en pleine réflexion sur le chemin à prendre pour la suite. Faut-il remettre en cause un système qui a ses qualités, mais n’a pas produit « le » champion ? Faut-il juste croiser les doigts pour tomber dessus comme le bienheureux voisin suisse ?
Avant le début de ce Roland-Garros, Toni Nadal appelait à la FFT à prendre enfin ses responsabilités. « La Fédération française a beaucoup plus d’argent que la nôtre, beaucoup plus de licenciés aussi, le tennis est un sport beaucoup plus populaire qu’en Espagne, et pourtant, nous avons de meilleurs résultats, rappelait l’oncle et mentor de Rafa. Ce n’est pas que de la faute des joueurs, une Fédération sans résultat doit se remettre en question. » En attendant, il va falloir sans doute baisser notre exigence dans les années à venir et s’habituer à des secondes semaines sans Français.