A Londres, Bernard-Henri Lévy seul sur scène pour stopper le Brexit
A Londres, Bernard-Henri Lévy seul sur scène pour stopper le Brexit
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
Dans un monologue de près de deux heures, le Français a crié son amour à l’Angleterre et à l’Europe, au Cadogan hall. Un hymne miné par les outrances habituelles de BHL.
Après avoir « sauvé » la Bosnie et la Libye, BHL sauvera-t-il le Royaume-Uni du Brexit ? Seul sur la scène du Cadogan hall, une élégante salle de concert du quartier londonien de Chelsea, celui que le Sunday Times a qualifié pour l’occasion de « prestigieux penseur français » s’est posé, lundi 4 juin au soir, en dernier rempart contre « la catastrophe ». Ce n’était ni une pièce, ni un discours, mais plutôt un monologue de près de deux heures, joué une seule fois, à la manière d’un cri déchirant de désespoir. Le grand homme se trouve enfermé dans une chambre d’hôtel à Sarajevo, ville symbole des déchirements de l’Europe, et cherche en vain à articuler un discours intitulé « Last exit before Brexit », destiné à expliquer l’Europe aux Britanniques et à les supplier d’y rester.
Entre deux photos rappelant complaisamment ses engagements passés, Bernard-Henri Lévy pontifie sur les fondamentaux du continent : Zeus enlevant Europe, Emmanuel Kant, un très long baiser sur une « piazza » italienne, mais aussi Primo Lévi et Lampedusa. Il n’est pas sûr que son accent anglais à la Maurice Chevalier serve le grand sérieux de son propos. D’autant que le message, échevelé, entrecoupé d’appels téléphoniques et de textos censément comiques, n’est pas limpide. Mais la salle, composée d’un public des beaux quartiers, bien élevé et acquis à la cause européenne, applaudit quand ce Français fébrile, sauveur autoproclamé du continent, prophétise : « une longue marche contre le Brexit commence ce soir. Elle aboutira dans six mois à l’annulation de cette catastrophe. »
Un étalage autocentré
Car, au-delà d’une ode désarticulée à l’Europe, le cœur du message est ailleurs : c’est une lettre d’amour à l’Angleterre, celle dont les penseurs ont théorisé le lien entre libéralismes politique et économique, celle qui a résisté victorieusement au nazisme. L’Europe « est née en 1945 dans les rues qui séparent le cabinet de guerre de Churchill et la City [de Londres]. Le logiciel de l’Europe est anglais », assure-t-il en citant les penseurs libéraux John Maynard Keynes, Adam Smith et Karl Popper. « Ma mère me disait : “tu existes grâce à Churchill et aux pilotes de la RAF [Royal air force]” », confie encore BHL à un public londonien attendri. L’écrivain l’a répété dans la presse britannique : « L’Europe s’effondrera si le Brexit continue » car « la Grande-Bretagne est son cerveau » et le « Brexit une catastrophe pour l’Europe ».
L’anglophilie militante de BHL fait mouche d’autant plus qu’elle contredit les clichés locaux sur les Français, et que le philosophe se mouille, lui et sa chemise blanche ouverte. Il pousse la conviction jusqu’à plonger tout habillé dans une baignoire pleine, par désespoir sans doute, avant une ultime envolée lyrique pour l’élection au suffrage universel d’un président de l’Europe et le remplacement des pontes sans âme figurant sur les coupures d’euros, par les visages d’Edmund Husserl, Anne Frank et Zinédine Zidane.
Seul en scène, le comédien d’un soir se démène, mais son égocentrisme, ses outrances et ses raccourcis affaiblissent son hymne à l’Europe. Réduire Jeremy Corbyn, le chef du parti travailliste, à son supposé « antisémitisme » ne brille pas par subtilité sur la réalité sociale du Royaume-Uni actuel. Clouer au même pilori les « islamo fascistes » et les « brexiters » (partisans du Brexit) non plus. Et la supplique pour stopper le Brexit lancée tranquillement au cœur de Chelsea fait penser à ce que pourrait être un meeting antiraciste en plein Saint-Germain-des-Prés. Dommage, car la dénonciation de l’inquiétante éruption de nationalisme anglais que représente le Brexit, du piège qu’il tend à toute l’Europe, vaut mieux que cet étalage autocentré et brouillon.