L’ambassadeur américain Richard Grenell à Berlin, le 4 juin 2018. / STRINGER / REUTERS

Comme Donald Trump qui l’a nommé, Richard Grenell, l’ambassadeur des Etats-Unis en Allemagne, bouscule les règles de la diplomatie. Depuis son installation dans les locaux de l’ambassade située sur la Pariser Platz, à deux pas de la porte de Brandebourg, le 8 mai, il ne cesse de prendre les Allemands à rebrousse-poil.

Dernière provocation en date ? Dimanche, il déclarait au site américain d’extrême droite Breitbart avoir été contacté par « de nombreux conservateurs dans toute l’Europe », qui lui ont fait part de leur sentiment d’une « résurgence » de cette mouvance politique. « Je veux absolument soutenir d’autres conservateurs partout en Europe, d’autres responsables », a-t-il ajouté.

Des déclarations contraires à la neutralité attendue de la part d’un ambassadeur, qui ont suscité un émoi certain. « Je sais que vous êtes encore tout nouveau à votre poste mais cela ne fait pas partie des prérogatives d’un ambassadeur de s’immiscer dans la politique de son pays hôte, M. Grenell », a dénoncé le secrétaire général des sociaux-démocrates (SPD), Lars Klingbeil. « Le diplomate [de Trump] n’a pas à s’immiscer dans nos élections ou à tenter d’influencer notre société. Nous respectons la souveraineté des Etats-Unis, à eux de faire de même », a renchéri Guy Verhofstadt, le chef des élus libéraux au Parlement européen.

Berlin a officiellement demandé « une clarification » à Richard Grenell, qui s’est rendu, mercredi, au ministère des affaires étrangères allemand.

Prompt à déraper sur Twitter

Avant même qu’il ne s’installe à Berlin, les « qualités diplomatiques » de M. Grenell, 51 ans, étaient sujettes à caution. Nommé en septembre 2017 au poste d’ambassadeur par Donald Trump, il n’a été confirmé à ce poste par le Sénat américain qu’en avril dernier. En cause déjà, notamment, son usage du réseau social Twitter, qui n’est pas sans rappeler là aussi celui de Donald Trump.

Le Washington Post et le site du magazine LGBT Advocate ont par exemple recensé quelques-uns de ses dérapages sexistes visant Michelle Obama, la journaliste Rachel Maddow – à qui il a conseillé de « reprendre son souffle et de mettre un collier » –, ou l’ancienne candidate à l’élection présidentielle Hillary Clinton – qui, selon lui, « commence à ressembler à [l’ancienne secrétaire d’Etat] Madeleine Albright ». L’édition britannique du Huffington Post et Politico ont relevé que Richard Grenell avait pris soin d’effacer certains de ses tweets, qui collent néanmoins à son image clivante.

« Vous savez, le respect pour les femmes et pour les gens de différents points de vue et autres sont essentiels pour un ambassadeur, n’importe où dans le monde », a ainsi fait remarquer Robert Menendez, sénateur démocrate du New Jersey, pendant les auditions de confirmation de l’ambassadeur. En septembre 2017, devant le comité de relations internationales du Sénat, Richard Grenell avait en partie fait amende honorable : « Parfois, ce qui était censé être humoristique s’avère ne pas être pas drôle », avait-il admis.

« Un disciple imparfait du Christ »

Homosexuel revendiqué et partisan du mariage gay – comme il l’a clamé dans Marriage, Gay Republicans and the Election, un texte publié en 2012 dans le Wall Street Journal –, Richard Grenell se présente comme un « survivant du cancer », un amateur de chiens et un « disciple imparfait du Christ ». Diplômé de l’Evangel University, établissement religieux privé situé à Springfield, dans le Missouri, et de la John F. Kennedy School of Government, l’école d’affaires publiques de l’université Harvard, il commence sa carrière politique comme conseiller pour de nombreux élus républicains, à la fin des années 1990.

Il se fait connaître lorsqu’il devient porte-parole de la mission américaine à l’ONU entre 2001 et 2008, au sein de l’administration Bush. Il travaille alors avec John Bolton, aujourd’hui conseiller à la sécurité nationale de M. Trump.

Après son passage au sein de l’administration Bush, il fonde en 2009 Capitol Media Partners. Cette société de conseil en communication dispose de bureaux à Los Angeles, San Francisco, New York et Washington, et a des « clients aux Etats-Unis, au Kazakhstan, en République démocratique du Congo, Somalie, Chine, Australie, Timor oriental, en Europe et en Iran », comme l’indique sa biographie.

En 2012, il renoue avec la diplomatie en rejoignant l’équipe de campagne du candidat républicain à la présidentielle Mitt Romney, au poste de porte-parole sur les questions de politique étrangère et de sécurité nationale. Une expérience de courte durée : il démissionne rapidement, en raison d’une campagne homophobe au sein du parti républicain.

Son revers de 2012 n’entrave en rien son ascension. En 2014, le magazine Time le place sur la liste des dix personnalités politiques à suivre sur Twitter. Pendant la campagne présidentielle de 2016, il commente l’actualité internationale sur Fox News, la chaîne favorite de Donald Trump, et fait partie des rares soutiens du candidat dans les cercles diplomatiques, relève le site The Hill.

Approche clivante de la diplomatie

Dès sa prise de fonction à Berlin, Richard Grenell crispe la classe politique allemande. Le président américain Donald Trump « a dit que les sanctions allaient viser des secteurs critiques de l’économie de l’Iran. Les entreprises allemandes faisant des affaires en Iran devraient cesser leurs opérations immédiatement », twitte-t-il le 8 mai, alors que les Etats-Unis viennent d’annoncer qu’ils se retirent de l’accord sur le nucléaire iranien.

« Ric : mon conseil après une longue carrière d’ambassadeur expliquez les politiques de votre pays et faites pression sur le pays hôte, mais ne lui dites jamais ce qu’il doit faire, si vous voulez éviter les ennuis, lui répond alors Wolfgang Ischinger, l’ancien ambassadeur allemand à Washington (2001-2006). Les Allemands sont prêts à écouter, mais ils n’apprécient pas de recevoir des instructions. »

Aux Etats-Unis, certains ont déjà demandé à ce que Richard Grenell soit rappelé. Comme la sénatrice démocrate du New Hampshire, Jeanne Shaheen. Les ambassadeurs « ne doivent pas se mêler de la politique locale ou régionale en soutenant des partis politiques, des candidats ou des causes. Si l’ambassadeur Grenell ne veut pas s’abstenir de déclarations politiques, il devrait être rappelé immédiatement ».