Marco Cecchinato à l’issue de sa rencontre victorieuse face à Novak Djokovic, mardi 5 juin. / ERIC FEFERBERG / AFP

Au restaurant Pizzi Cotto, institution du quartier Favorita, un portable circule de mains en mains entre les tables, au milieu des cris et des chants. Sur l’écran, le légendaire joueur américain John McEnroe, devenu commentateur sur la chaîne Eurosport, s’interroge : « Comment ça se prononce ? Tchetchinato ? Kekinato ? ». « C’est Marco Cecchinato [tchekinato], et il va falloir retenir ce nom », lance dans un éclat de rires tonitruant un homme qui se présente comme un « cousin éloigné » de l’Italien qui a créé l’exploit, mardi 5 juin à Roland Garros, en se qualifiant pour les demi-finales aux dépends du Serbe Novak Djokovic.

Il faut dire que ce mardi soir à Palerme, tout le monde semblait soudainement être de la famille de « Ceck », comme est surnommé le natif de la ville sicilienne. Au « Tennis club 2 » surtout, sur la via Lorenzo. Là où le jeune homme a frappé ses premières balles, en 1999, sur terre battue déjà.

Dans l’après-midi, les proches du joueur de 25 ans se sont réunis dans le hall vitré du petit club palermitain, qui compte une dizaine de courts. Sur un écran de télévision à peine plus large que celui d’un foyer sicilien lambda, les fidèles de la révélation de Roland-Garros 2018 ont suivi la rencontre entre leur protégé – qui n’avait jusqu’alors jamais gagné un seul match en Grand Chelem –, et l’ancien numéro 1 mondial. Seuls manquaient à l’appel la fiancée de Marco Cecchinato, Gaia, ainsi que ses parents, qui ont pris l’avion pour Paris lundi après la victoire de leur fils en huitième de finale face au Belge, David Goffin.

« C’est un rêve, c’est pas possible »

A l’issue d’un tie-break haletant dans le quatrième set – « là, il joue avec nos nerfs », s’agace une femme assise au dernier rang –, tous exultent. La grand-mère de Marco Cecchinato n’en finit pas de tomber dans les bras de ses voisins, qui crient au « miracle ».

Son oncle, Gabriele Palpacelli, président de la fédération italienne de tennis en Sicile, ne retient pas ses larmes. « Je ne peux pas parler, c’est un rêve, c’est pas possible », s’effondre celui qui fut le premier à initier le jeune Marco Cecchinato à l’art du tennis. « Vive le tennis sicilien », lance-t-il encore, espérant que l’exploit de son poulain permettra de « faire connaître le travail du club ».

« C’était quand le dernier ? »

C’est peu dire que Palerme ne s’attendait pas à se découvrir un tel champion. Mardi après-midi, dans le centre-ville, il fallait chercher longtemps pour trouver un bar où voir le match – la rencontre n’étant diffusée que sur Eurosport. Il aura fallu vingt minutes aux clients du caffè Kassato pour trouver, sur un site de streaming, le fameux quart de finale.

« En une semaine, on vous place au plus haut un chef du gouvernement et un joueur de tennis complètement inconnus », se réjouit sur la terrasse Michele Vallo, un maçon palermitain de 47 ans, en référence au nouveau président du Conseil, Giuseppe Conte, ancien universitaire qui n’avait jusqu’à la semaine dernière jamais fait de politique. « Vous ne les aviez pas vu venir hein ? Bon, nous non plus à vrai dire », exulte ce fort en gueule qui offre une tournée générale aux clients de la terrasse, et se réjouit de « voir qu’on va parler de l’Italie positivement, ça change ».

Il faut dire que les Italiens s’étaient habitués à ne plus vraiment s’enflammer pour le tennis, surtout masculin. « C’était quand le dernier ? », s’interroge un client du Kassato. Autour de lui, les visages sont circonspects. « Ce serait du foot, je suis incollable, mais en tennis… », reconnaît Giuseppe, un lycéen de 17 ans qui tente d’apercevoir le match sur l’écran du téléphone. Cela fait quarante ans qu’on n’avait pas vu un Italien en demi-finales à Roland Garros. C’était le natif du Frioul, Corrado Barazzutti, un temps 7e au classement mondial. « Mais là, c’est encore mieux, c’est un Sicilien », renchérit Giuseppe.

Le maire de Palerme, Leoluca Orlando, ne s’y est pas trompé, saluant lui aussi une victoire qui « projette Palerme et l’Italie dans l’histoire du tennis mondial ». Marco Cecchinato a pourtant quitté la ville très jeune pour aller s’entraîner d’abord à Caldaro, sur la route des vins du Sud-Tyrol, puis à Bordighera, près de la frontière française, et enfin plus récemment à Bologne, où il a rencontré son entraîneur actuel. Mais son miracle sur la terre rouge parisienne reste, selon le premier élu de la ville, « la meilleure façon de montrer que Palerme est la capitale italienne de la culture sportive ».