L’Angola retrouve six œuvres d’art volées pendant la guerre civile
L’Angola retrouve six œuvres d’art volées pendant la guerre civile
Par Laurence Caramel (Bruxelles, envoyée spéciale)
Depuis 2015, la Fondation Sindika Dokolo a entrepris de récupérer les objets dérobés au musée de Dundo pour les restituer à l’Etat angolais.
Trois des objets restitués en juin 2018 à l’Angola par l’entremise de la Fondation Sindika Dokolo. / FONDATION SINDIKA DOKOLO
Deux masques, une chaise, un tabouret, une pipe et une coupe de facture Chokwe ou Shinji vont rejoindre les collections nationales du musée de Dundo, en Angola, où ils avaient été dérobés pendant la guerre civile (1975-2002) avant d’être revendus à de riches collectionneurs ou marchands européens. La Fondation Sindika Dokolo a procédé, jeudi 7 juin à Bruxelles, à leur restitution officielle au gouvernement angolais, représenté par son ambassadeur en Belgique et par la directrice des Archives nationales.
Cela porte à onze le nombre de pièces restituées depuis que l’homme d’affaires d’origine congolaise, gendre de l’ancien président angolais José Eduardo dos Santos, a entrepris en 2015 de se lancer sur les traces de ce patrimoine disparu pour le ramener sur sa terre natale. « L’Afrique a besoin de cette connaissance de soi. Elle doit se redéfinir autour de ce patrimoine qui ne lui est jusqu’à présent que trop peu accessible », a expliqué pour justifier sa démarche celui qui est aussi l’un des plus importants collectionneurs d’art classique africain. Ironie de l’histoire, l’un des masques de jeune fille – Mwana Pwo – appartenait à sa collection personnelle. Il l’avait acheté en 2007 dans une vente à New York et aurait pris connaissance de son origine il y a quelques semaines seulement.
Collecte d’objets ethnographiques
Le musée de Dundo, une ville minière située dans le nord-est du pays, tout près de la frontière avec la République démocratique du Congo, a une histoire singulière. Il a été construit en 1936 par l’ancienne compagnie Diamang, fondée quelque vingt ans auparavant par un conglomérat d’investisseurs étrangers bénéficiaires d’une vaste concession diamantifère accordée par le colonisateur portugais. Dès sa création, des campagnes de collecte d’objets ethnographiques ont été organisées sur les terres des Chokwe, dont la qualité du travail était déjà reconnue. Puis, à partir de la fin des années 1940, les collections ont été enrichies de pièces récupérées – déjà – sur le marché européen. La pipe qui vient d’être restituée en fait partie. A cette époque, le fonds comporte plus de 7 000 objets.
Le musée a édité des ouvrages qui continuent de faire référence dans le domaine de l’histoire de l’art africain. En particulier, les travaux de Marie-Louise Bastin qui définissent les différents styles de l’esthétique Chokwe. « Il est clair que Diamang cherchait une forme de légitimation en consacrant de tels moyens au musée, mais c’est ce qui nous permet aujourd’hui de disposer d’une documentation importante. Les œuvres ont été photographiées, décrites, répertoriées », explique Agnès Lacaille, qui recherche pour la Fondation Sindika Dokolo les pièces dérobées. Cette ancienne régisseuse des collections du Musée royal de l’Afrique centrale de Bruxelles estime avoir localisé une soixantaine d’objets sur les 800 dont la fiche signalétique est la plus complète et qui constituent son champ d’enquête privilégié.
« Le marché ne va pas disparaître »
Jusqu’à présent, la fondation s’est uniquement tournée vers les détenteurs privés. L’organisation de la cérémonie dans un grand hôtel du quartier des Sablons, où foisonnent antiquaires et galeries, ne doit en cela rien au hasard. Nombre d’entre eux étaient dans la salle et M. Dokolo s’est efforcé de les rassurer. « Il est important que les collectionneurs et les marchands appréhendent mieux notre démarche. Ils ont révélé la beauté et la puissance de l’art africain au monde. Le marché ne va pas disparaître dans un procès en illégitimité », a-t-il affirmé en les encourageant à soutenir son projet.
La plupart des onze objets récupérés par sa fondation ont été rachetés à leur propriétaire à des prix en dessous de ceux du marché – et que M. Dokolo ne révèle pas. Quelques-uns ont été remis gratuitement. « Nous pourrions partir en guerre pour obtenir les pièces les plus importantes et symboliques, mais cela ne nous semble pas la voie la plus porteuse », précise Agnès Lacaille, tout en rappelant que leur action s’appuie sur un cadre légal solide. Les collections du musée de Dundo ont, à l’indépendance de l’Angola en 1975, rejoint le patrimoine national. Les objets y appartenant bénéficient à ce titre du statut juridique de « biens culturels », protégés à la fois par la loi angolaise et par le droit international à travers la convention de l’Unesco de 1970 sur le commerce illicite d’œuvres d’art.
Alors que l’engagement d’Emmanuel Macron de fixer d’ici à cinq ans les conditions pour « des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain » a relancé le débat sur les réparations des crimes de la colonisation, M. Dokolo prend soin de rester à l’écart d’une polémique qu’il juge trop « politique et émotionnelle ».