Carlos Moya : « Ne jouer que 11 tournois par an, pour Nadal ce n’est pas une option »
Carlos Moya : « Ne jouer que 11 tournois par an, pour Nadal ce n’est pas une option »
Propos recueillis par Elisabeth Pineau
Le coach de l’Espagnol, vainqueur à Roland-Garros il y a vingt ans, estime qu’il y a encore des secteurs où son élève peut progresser, « et ça tombe bien, il en a toujours l’envie ».
Lors d’un entraînement, à Melbourne, le 10 janvier. / WILLIAM WEST / AFP
Le 8 juin 1998, Carlos Moya soulevait la Coupe des mousquetaires, l’unique Grand Chelem de sa carrière. Vingt ans après, il regarde les matchs depuis les tribunes, depuis le box de Rafael Nadal en l’occurrence. D’abord aux côtés de l’oncle Toni lors de la saison 2017, le premier numéro un mondial espagnol de l’histoire est depuis janvier en binôme avec l’autre coach historique, Francisco Roig.
Avant de partager le même sport, Moya et Nadal ont d’abord en commun une île, Majorque : Moya est originaire de Palma, à 50 km de Manacor, le fief de Nadal. Longtemps, le cadet a joué les sparring-partners pour son aîné. « On me dit parfois que j’ai aidé Rafa, mais ce fut en réalité réciproque, répète Moya. Il était déjà assez bon pour me pousser à donner le meilleur à l’entraînement. Quand nous faisions des sets, je n’avais pas intérêt à les prendre à la légère si je ne voulais pas être battu par un gamin de 14 ans ! » Il sera d’ailleurs le premier joueur du Top 5 battu par Nadal à… 16 ans.
Moya Corretja French Open 1998
Durée : 01:27
Cette année marque les 20 ans de votre victoire à Roland-Garros : cela vous rend-il nostalgique ?
Non, honnêtement, je ne me sens pas vraiment nostalgique, je n’ai pas envie d’en faire toute une histoire. Bien sûr, dès que je viens ici, les bons souvenirs rejaillissent, mais j’essaie de profiter du moment présent, et de me projeter vers l’avenir, je n’en oublie pas pour autant le passé mais disons que je vais de l’avant.
Pourtant, si Nadal signait dimanche une 11e victoire, avouez que le clin d’œil serait amusant ?
Oui, ce serait génial, bien sûr, mais même si ça ne coïncidait pas avec les 20 ans de ma victoire, ce serait fabuleux pour moi si Rafa pouvait s’imposer ! Bon, c’est vrai qu’il y aurait quelque chose de spécial avec ces 20 ans…
Vous avez débuté votre collaboration avec lui il y a un an et demi : que pensez-vous lui avoir apporté jusqu’ici ?
Je ne pense pas que je lui ai apporté une chose en particulier. C’est surtout qu’il puisse entendre une autre voix. Je lui rappelle des petites choses qu’on lui a probablement répétées des tas de fois... mais quand ça vient d’une autre personne, parfois, c’est bénéfique.
Après, toute l’équipe attend de lui qu’il soit plus agressif, qu’il essaye de passer moins de temps sur le court, de faire courir l’adversaire, de changer les trajectoires…
En quoi pensez-vous être différent de Toni ?
Nous sommes très différents, on a chacun notre manière de travailler.
Lui était réputé pour être stricte…
Je veux croire que je suis strict mais de manière peut-être différente de lui. Déjà, il fait partie de sa famille. Et il suit Rafa depuis qu’il a 6 ans. Moi c’est différent, je ne suis pas un membre de sa famille, c’est un ami. Mais tous les deux, nous souhaitons le meilleur pour Rafa. Nous avons des manières différentes de lui expliquer les choses et de nous comporter avec lui, mais il n’y en a pas un meilleur que l’autre, on est juste différents, c’est tout.
La méthode Moya, c’est quoi ?
J’aime dialoguer et échanger énormément avec lui, j’essaie d’être le plus possible à son écoute. J’ai mes opinions et je sais ce que j’ai à lui dire, mais c’est important de connaître son ressenti, d’avoir son avis. Et j’essaie de le convaincre sur quelques points dont je suis convaincu à 100 % et on essaie de tomber d’accord.
Comment définiriez-vous votre relation : vous vous sentez plus son ami, son coach ou son mentor ?
Cela dépend du moment de la journée et de nos activités. Sur le court évidemment, j’ai ma casquette de coach. En dehors, je suis un peu à la fois le coach et l’ami, quelqu’un en qui il peut se fier je dirais. Et jusqu’ici, cet équilibre fonctionne plutôt bien.
En 2007, comme un symbole, Moya se voit corrigé par son cadet sur la route d’un troisième sacre porte d’Auteuil (6-4, 6-3, 6-0). Il prendra sa retraite fin 2010. / JACQUES DEMARTHON / AFP
Nadal est-il le joueur idéal à entraîner ?
Il ne fait pas absolument tout ce que je lui demande de faire, car il a 32 ans, et je ne dis pas que j’ai toujours raison. J’essaie de lui donner mon avis, lui me dit ce qu’il en pense, et on avise. Parfois, il suit mes conseils, d’autres fois non mais il y a rien de plus normal.
Quelle est la qualité qui vous impressionne le plus chez lui ?
Probablement son esprit de guerrier sur le court et l’intensité qu’il met. C’est probablement ce qui le rend différent des autres joueurs.
Il répète qu’il a encore une marge de progression : dans quels secteurs selon vous ?
Je pense qu’il peut encore gagner en agressivité, il peut mieux se placer à l’intérieur du court, il peut encore progresser au service... La perfection n’existe pas en tennis, aucun joueur ne l’a jamais atteinte, il y a toujours des secteurs où progresser et ça tombe bien, il en a toujours l’envie.
Pourquoi ne procède-t-il pas à des ajustements dans son calendrier, un peu comme Federer, pour espérer prolonger sa carrière ?
Il a joué 18 tournois l’an dernier, je ne crois pas que ça fait beaucoup...
Mais essayez-vous de le raisonner en ce sens ?
L’an dernier, il était censé jouer Rotterdam, le Queen’s et Bâle et il ne les a pas disputés. Donc que veut-on dire par alléger son calendrier ? Il y a l’exemple réussi de Federer, et oui, ça ne s’était encore jamais vu jusque-là, mais ça ne veut pas dire que tout le monde doive en faire de même, Rafa ce n’est pas sa façon de fonctionner.
Mais tout dépend de ses résultats en fait. S’il gagne des tournois, il peut naturellement en disputer moins ensuite. S’il tombe au second tour, ça change la donne. Mais le calendrier, on en parle entre nous oui. Mais j’ai l’impression que quand on parle d’alléger le calendrier, ça signifie faire comme Federer et ne jouer que 11 tournois par an, or ça ne s’était jamais produit auparavant et ce n’est pas une option pour Rafa.
Toni disait récemment que les joueurs aujourd’hui réfléchissent moins sur le court : le rejoignez-vous sur ce point ?
Je sais que le tennis d’aujourd’hui est beaucoup plus physique qu’il y a trente ans et les joueurs beaucoup plus puissants, mais je veux croire qu’il y a néanmoins encore de la place pour la stratégie. C’est un point qu’on travaille beaucoup avec Rafa, il en use beaucoup et il change souvent de stratégies durant ses matchs. Mais je ne dirais pas que les joueurs d’aujourd’hui ne réfléchissent plus.