Mariano Puerta, l’homme grâce à qui la légende de Nadal à Roland-Garros est née
Mariano Puerta, l’homme grâce à qui la légende de Nadal à Roland-Garros est née
Par Elisabeth Pineau
Ce dimanche, l’Espagnol dispute sa onzième finale à Roland-Garros. Mais qui se souvient de la première, en 2005, à la dramatugie sans doute jamais inégalée ?
Rafael Nadal et Mariano Puerta après la victoire de l’Espagnol au tournoi de Roland-Garros 2005. / LIONEL CIRONNEAU / AP
Ce dimanche, Rafael Nadal dispute la onzième finale de sa carrière à Roland-Garros. Prions pour que le choc contre l’Autrichien Dominic Thiem ne fasse pas un énième flop. Parmi les dix premières finales, aucune ne restera dans les annales. Certaines sont mêmes à classer parmi les plus soporifiques du tournoi tant elles furent à sens uniques. Il y en eut bien quelques-unes d’accrochées, surtout contre Djokovic (2012, 2014), moins contre Federer malgré leur récurrence (2006, 2007, 2008, 2011). Mais Toni Nadal, l’oncle des dix premiers sacres, a coutume de dire que le premier, contre Mariano Puerta en 2005, fut « le plus beau et le plus dur » à conquérir tant le combat fut acharné (6-7 [6-8], 6-3, 6-1, 7-5). Et sans doute ne serait-il pas tombé si vite aux oubliettes si l’Argentin n’avait pas tout gâché.
Ce 5 juin 2005, Rafael Nadal fait son baptême en finale d’un Grand Chelem. Il pointe à la 5e place mondiale et c’est la première année qu’il foule la terre battue parisienne. Deux jours plus tôt, le jour de ses 19 ans, l’Espagnol a fait chuter le numéro un mondial, Federer (6-3, 4-6, 6-4, 6-3), trahi par son coup droit et son mental. Avant le Suisse, il s’est débarrassé successivement de Lars Burgsmuller, Xavier Malisse, Richard Gasquet (6-4, 6-3, 6-2), Sébastien Grosjean (6-4, 3-6, 6-0, 6-3) et son compatriote David Ferrer, à qui il a collé une fessée (6-0 au troisième set).
Le jeune premier contre le revenant
Mariano Puerta, lui, c’est en quelque sorte le type qui s’inscruste au premier plan sur la photo de famille mais qu’on aurait préféré planqué au dernier rang. A 27 ans, c’est un revenant à double titre. Banni du circuit professionnel pendant neuf mois après un contrôle positif à un anabolisant – le clenbutérol – en février 2003, l’Argentin est remonté de la 440e place à la 37e. Aussi sa présence en finale sonne-t-elle comme une rédemption. Rescapé, il l’est aussi sur ce tournoi : à deux reprises, en quart de finale contre Guillermo Canas puis en demie face à Nikolay Davydenko, il est mené deux sets à un et s’en sort finalement en cinq manches.
Roland Garros 2005: Nadal - Puerta (Final) Highlights
Durée : 22:18
Pas folichonne sur le papier, la finale entre les deux gauchers va se révéler haletante, parfois même époustouflante. Durant 3 h 24, Mariano Puerta frappe comme un forcené sur tout ce qui bouge, débusquant des angles qu’on qualifierait aujourd’hui de « nadaliens ». De l’autre côté du filet, le plagiste de Manacor, débardeur verdâtre et pantacourt blanc, délivre une leçon de passing-shot et laisse les 15 000 spectateurs du court Philippe-Chatrier admirer sa couverture de terrain. Dans la tribune présidentielle, Bertrand Delanoë, le maire de Paris, taille le bout de gras avec la reine Sofia.
Le niveau de jeu atteint lors du premier set est exceptionnel. Mariano Puerta flotte dans son t-shirt orange mais marche sur l’eau. En s’appuyant sur un coup droit énergique, il fait gicler la balle comme on croyait son adversaire seul capable de le faire et accepte le défi des passings du Majorquin. Cette première manche va durer 1 h 12 – soit plus longtemps que la finale dames de la veille – et se conclut par un tie-break avec pas moins de quatre mini-breaks. Sur le fil, Puerta l’enlève 8-6. Jamais depuis le début de la quinzaine un joueur avait autant poussé Nadal dans ses retranchements.
Si les deux manches suivantes sont une démonstration de l’Espagnol, la quatrième est à nouveau épique. Puerta expérimente tout et fait abstraction d’une cuisse endolorie. Il plonge à plusieurs reprises dans le filet, contrôle le plus souvent l’échange et sort des points qui défient les lois géométriques. Par trois fois, il a l’occasion de s’adjuger ce quatrième set. Le public, qui meurt d’envie d’en avoir un cinquième, se met à scander son nom.
Mariano Puerta lors de la finale du tournoi de Roland-Garros face à Rafael Nadal, le 5 juin 2015. / CHRISTOPHE SIMON / AFP
Mais l’Argentin se heurte à un mur. Nadal ne lâche rien. Et chaque fois qu’il tue le point, s’ensuit un cérémonial bestial. Le joueur est comme possédé. Alors il bondit, les jambes moulinant dans l’air, il claque un mouvement d’uppercut, mâchoires ouvertes, et rugit un : « Vamoooooos ! » A 5-5, c’est à son tour de s’emparer du service de son adversaire. Après un ultime coup droit qui termine dans le couloir, l’Argentin doit s’agenouiller aux pieds du nouveau roi. L’Espagnol remporte Roland-Garros a sa première participation et devient le plus jeune vainqueur à Paris depuis Michael Chang seize ans plus tôt.
Le début de la fin pour Puerta
Bras et jambes écartés, dos sur la terre, Rafael Nadal mime l’étoile de mer. Il peut bien écraser quelques larmes. Puis il fait fi du protocole et assaille la tribune présidentielle pour serrer la main au roi Juan Carlos et à la reine Sofia. A quelques mètres, Zinédine Zidane patiente pour lui remettre la Coupe des mousquetaires.
« Si j’avais gagné le quatrième set, je suis persuadé que le cinquième aurait été très disputé. Au quatrième, j’avais la chair de poule d’entendre le public scander mon nom. J’aurais aimé aller dans un cinquième set de feu, dira le vaincu. C’est mon seul regret. Nadal était prenable, je ne suis pas passé si loin que ça. Mais il est tellement impressionnant, il a des jambes et une force incroyables. Et il est d’un calme admirable. Avec cette victoire, il entre déjà dans l’histoire. Il va devenir une légende. »
L’Argentin ne s’y est pas trompé. Pour lui, en revanche, les choses n’ont pas tourné comme il l’avait imaginé. « J’espère que cette finale ne sera pas la seule que je jouerai à Roland-Garros. Qui sait si je ne reviendrai pas l’an prochain plus fort que jamais ? » Non seulement il n’y en aura pas d’autre mais la chute ne va pas tarder.
Quatre mois plus tard, le 5 octobre, L’Equipe révèle que Mariano Puerta a été contrôlé positif le soir de sa défaite Roland-Garros à l’étiléfrine, un stimulant normalement utilisé pour soigner... l’hypotension. Deux ans après avoir été déjà pris par la patrouille, il est suspendu huit ans par le tribunal antidopage de la Fédération internationale de tennis. La peine sera finalement réduite à deux ans par le Tribunal arbitral du sport. Trop tard, le mal était fait.