« En Bourse, le ralentissement économique sera le juge de paix »
« En Bourse, le ralentissement économique sera le juge de paix »
Par Didier Saint-Georges (Membre du Comité d'Investissement de Carmignac Gestion)
Chronique. Didier Saint-Georges, membre du comité d’investissement de Carmignac Gestion, explique pourquoi la crise politique italienne pourrait inciter les gérants à modifier leur stratégie.
Luigi Di Maio, leader du Mouvement 5 étoiles (M5S), salue la foule à Naples, en Italie, le 29 mai 2018. / Ciro Fusco / AP
En Italie, l’arrivée au pouvoir d’une coalition improbable du Mouvement 5 étoiles (M5S) et de la Ligue a mis les marchés financiers dans tous leurs états en mai. Après qu’il fut découvert qu’un projet de sortie de l’Euro faisait partie des scénarios dans les cartons de la coalition, une suite de rebondissements politiques dont l’Italie a le secret faisait s’affaiblir l’euro, les marchés actions européens, et surtout les marchés obligataires dit de la « périphérie » européenne.
Le spectre d’un nouveau scénario de sortie de la zone euro par un pays de l’Union hantait de nouveau les esprits. Rappelons d’abord que, si paranoïa il y a sur ce sujet, elle se justifie. En effet, qu’il s’agisse de la Grèce ou de l’Italie, la sortie d’un quelconque pays de la zone créerait un précédent mortel.
Car si l’expérience prouvait qu’un pays peut en effet sortir la zone euro, alors c’est qu’il deviendrait nécessaire de quantifier la plausibilité d’un tel scénario pour chaque pays. Dès lors, un euro n’aurait plus jamais tout-à-fait la même valeur selon le pays dans lequel il est conservé. Tout investisseur serait incité à garder ses euros là où ils sont les plus sûrs, et à les retirer des pays plus fragiles. Cela sonnerait la fin de la fongibilité de l’euro, et donc de l’euro tout court. L’enjeu est donc bien majeur.
Il est techniquement tout-à-fait possible pour un pays souverain de revenir à sa monnaie nationale. Encore faut-il que deux conditions soient réunies. D’abord, il faut que ce soit sa volonté. Or toutes les enquêtes d’opinion concluent aujourd’hui que, dans sa majorité, la population italienne souhaite demeurer dans la zone euro.
Certes, rien n’empêche un gouvernement démocratiquement élu de prendre des décisions contraires à la volonté du peuple. Mais cette perspective serait pour le moins paradoxale venant d’un gouvernement se réclamant explicitement du peuple.
Ensuite, il faut que l’opération soit réalisée par surprise. En effet, un gouvernement qui annoncerait à l’avance son intention provoquerait naturellement une fuite de capitaux immédiate qui le laisserait ruiné avant même d’avoir commencé. La conjonction de ces deux contraintes fait qu’un gouvernement italien entamant un « Italxit » devrait explicitement et délibérément trahir le mandat donné par ses électeurs. Peu plausible.
Cela signifie-t-il que l’Italie va rapidement rentrer dans le rang ? Et ainsi les marchés financiers reprendre leur belle trajectoire soutenue par la convergence du coût de la dette entre les pays de la zone euro entamée un jour d’été 2012, sous les auspices rassurants de Mario Draghi ?
Rien n’est moins sûr, et ceci pour deux raisons. D’abord, le gouvernment de Giuseppe Conte fraichement confirmé, s’il ne peut annoncer un plan de sortie de la monnaie unique, entend bien être l’artisan d’une rupture de politique économique: la doxa de la rigueur budgétaire sera contestée. Il est peu probable que les marchés financiers saluent positivement une descente délibérée vers des déficits budgétaires plus profonds.
Mais ce risque ne devrait pas nous emmener trop loin dans un premier temps, principalement parce que l’Italie bénéficie d’un peu de marge de manœuvre utilisable sans mettre la maison en péril (le déficit budgétaire de l’Italie est inférieur à celui de la France, et elle peut se vanter d’un excédent de sa balance courante).
On pourrait imaginer aussi que l’obsession de Matteo Salvini sur la question migratoire offre à Bruxelles ou au couple franco-allemand un levier de négociation exploitable pour obtenir, en contrepartie d’une aide sur cette question, un programme économique acceptable par les marchés.
La seconde raison d’être inquiet est plus profonde et ne concerne pas que l’Italie. Les réformes à la fois structurelles dans chacun des pays européens, et institutionnelles au niveau de l’Union sont aujourd’hui encore peu avancées. Cette carence est masquée par le fait que jusqu’à présent la Banque centrale européenne (BCE) est demeurée en soutien actif, et que le cycle économique est porteur.
Mais elle risque d’être éclatante quand l’économie ralentira dans quelques mois, a fortiori si cette décélération s’avérait concomitante à un soutien de la BCE en phase de retrait. En effet, faute de réformes suffisantes ayant permis de réduire les taux d’endettement, les marchés n’accorderont pas encore au pays les plus fragiles de la périphérie le luxe de pouvoir user de l’arme budgétaire sans que cette intervention se reflète dans des taux d’intérêt plus élevés.
Et l’Union européenne ne sera visiblement pas encore dotée un budget européen suffisant pour pallier les carences des Etats les plus vulnérables. Autrement dit, les pays les plus faibles seront les plus pénalisés, et ainsi la magnifique dynamique de convergence entre pays de la zone euro dont les marchés d’actions, de taux et de crédit ont profité ces six dernières années s’exposera à une remise en cause brutale.
En résumé, ni politiques monétaires ni politiques budgétaires n’auront autant de flexibilité que par le passé pour stabiliser le prochain ralentissement économique. Cette prochaine phase du cycle économique nécessitera par conséquent des investisseurs qu’ils abandonnent les réflexes acquis depuis 2012, et revoient radicalement leur gestion des risques de marchés.