Mondial 2026 : pourquoi les groupes de trois risquent de fausser la Coupe du monde
Mondial 2026 : pourquoi les groupes de trois risquent de fausser la Coupe du monde
Par Julien Guyon (Docteur en mathématiques appliquées, professeur associé aux départements de mathématiques de l’Université de Columbia et de NYU)
L’introduction des groupes de trois pour le Mondial 2026 peut sembler anodine, mais elle pose en fait un sérieux problème d’équité.
Le président de la FIFA, Gianni Infantino, le 18 mars 2016. / MICHAEL BUHOLZER / AFP
La planète football va avoir les yeux braqués sur la Russie, qui accueille non seulement la Coupe du monde (du 14 juin au 15 juillet), mais aussi le 68e congrès de la FIFA. Mercredi 13 juin, veille du match d’ouverture, ce dernier attribuera l’organisation du Mondial 2026 soit conjointement au trio États-Unis-Mexique-Canada, grands favoris, soit au Maroc.
La Coupe du monde 2026 sera bien différente de celle que l’on connaît aujourd’hui, avec 48 équipes au lieu de 32. Elle adoptera aussi un nouveau format : des groupes de 3 se substituant aux traditionnels groupes de 4. Dans chacun des 16 groupes de 3, les 2 meilleures équipes seront qualifiées pour le tableau final, qui débutera pour la première fois par des 16es de finale. Il se peut même que ce nouveau format soit utilisé dès la Coupe du monde 2022 au Qatar.
Problème d’équité
L’introduction des groupes de 3 peut sembler anodine, mais elle pose en fait un sérieux problème d’équité. En effet, les deux équipes jouant le dernier match de groupe sauront exactement quels résultats leur suffiront pour accéder aux 16es de finale. Quand un même résultat les qualifie toutes les deux, elles peuvent être tentées de s’arranger, ou simplement se satisfaire toutes les deux d’un score en cours de match. En instillant le doute sur la sincérité de l’effort et la réalité des résultats, le risque de collusion, que les équipes s’arrangent ou pas, peut gravement porter atteinte à la Coupe du monde et même plus généralement au football, dont la popularité réside avant tout sur l’incertitude du résultat.
Le « match de la honte » est certainement l’exemple le plus célèbre de match de football arrangé. Il fait référence au match RFA-Autriche du 25 juin 1982, au cours duquel les deux équipes refusèrent de s’attaquer pendant 80 minutes, satisfaites du résultat 1-0 qui les qualifiait toutes les deux pour le deuxième tour du Mondial 1982 aux dépens de l’Algérie, qui avait joué son dernier match de groupe la veille. RFA et Autriche n’avaient pas été pénalisées par la FIFA puisqu’elles n’avaient enfreint aucune règle. Depuis lors, toutes les équipes d’un même groupe jouent leur dernier match de groupe simultanément, ce qui réduit fortement le risque d’arrangement mais est bien sûr impossible lorsque les groupes ont un nombre impair d’équipes, en particulier avec des groupes de 3.
Examinons dans quels cas un arrangement serait à craindre dans un groupe de 3. Appelons A l’équipe qui joue les deux premiers matchs et B et C les deux autres équipes. Si l’on suit les règles actuellement en vigueur (3 points pour une victoire, 1 pour un match nul, 0 pour une défaite ; en cas d’égalité de points, les équipes sont départagées à la différence de buts générale, puis s’il le faut au nombre de buts marqués), il y aura soupçon de collusion exactement dans les 3 cas suivants, après que l’équipe A a joué ses deux matchs :
- Cas 1 : L’équipe A a enregistré une victoire et une défaite et possède une différence de buts négative ou nulle.
- Cas 2 : L’équipe A a fait deux matchs nuls.
- Cas 3 : L’équipe A a enregistré un match nul et une défaite.
Dans chacun de ces cas, il existe un résultat du dernier match de groupe (B contre C) qui élimine A. Par exemple, si A gagne 1-0 contre B et perd 2-0 contre C (cas 1), C pourrait accepter, directement ou tacitement, ou se satisfaire de perdre 1-0 contre B et finirait alors premier du groupe devant B, deuxième à la différence de buts. Si A fait deux matchs nuls 0-0 et 1-1 (cas 2), alors B et C pourraient se mettre d’accord sur un match nul 2-2 qui les qualifierait toutes les deux grâce à un plus grand nombre de buts marqués. Dans le troisième cas, n’importe quel match nul entre B et C éliminerait A.
Dans tous les autres cas, l’équipe A serait soit déjà qualifiée soit déjà éliminée avant même le dernier match de groupe entre B et C. Par conséquent, pour minimiser le risque de collusion, il vaut mieux que l’équipe qui joue les deux premiers matchs de groupe soit l’équipe a priori la plus forte, qui serait alors probablement déjà qualifiée avant le dernier match de groupe, ou bien une équipe très faible, qui serait probablement déjà éliminée avec deux défaites. Cependant, il est injuste de décider arbitrairement quelle équipe jouera les deux premiers matchs, car seule cette équipe peut être victime d’une éventuelle collusion.
Mes calculs montrent que, pour un groupe raisonnablement déséquilibré, le risque de collusion est d’environ 15 % si l’équipe A est la plus forte du groupe, mais s’élève jusqu’à environ 50 % si ce n’est pas le cas. La probabilité qu’un arrangement soit possible dans au moins un des 16 groupes est donc extrêmement élevée, environ 90 % dans le premier cas et plus de 99 % dans le second.
La FIFA, consciente (au moins partiellement) du danger, dit étudier la possibilité d’interdire les matchs nuls durant la phase de groupes. Une séance de tirs au but déciderait du vainqueur. Cela rendrait en effet les cas 2 et 3 impossibles. Cependant, cela n’éliminerait pas le risque de collusion : le cas 1 serait toujours possible. Pire, il deviendrait plus probable, puisque interdire les matchs nuls augmente automatiquement les probabilités de victoire et de défaite pour chaque équipe.
Risque de collusion
D’après mes calculs, interdire les matchs nuls réduirait en fait assez peu le risque de collusion, qui, pour un groupe raisonnablement déséquilibré, serait d’environ 10 % si c’est l’équipe a priori la plus forte qui joue les deux premiers matchs de groupe, et d’environ 30 % si ce n’est pas le cas. Le risque de collusion dans au moins un des 16 groupes resterait extrêmement élevé, environ 80 % dans le premier cas et toujours plus de 99 % dans le second.
Ces chiffres prouvent que l’introduction de groupes de 3 est une très mauvaise idée, potentiellement très dangereuse. Non seulement des matchs de la honte seraient de nouveau possibles, mais le risque de collusion serait très élevé. La Coupe du monde risquerait d’être faussée.
Il est de toute façon impossible d’éliminer le risque de collusion dans des groupes de 3. Quelle que soit la règle adoptée par la FIFA pour classer les équipes au sein d’un groupe, il y aura toujours des situations dans lesquelles l’équipe A n’est ni déjà qualifiée ni déjà éliminée après son second match, par exemple si A enregistre une victoire 1-0 et une défaite 2-0. Autres défauts de ce format : les équipes risquent de rentrer à la maison après seulement 2 matchs et elles ne peuvent bénéficier d’un même nombre de jours de repos entre 2 matchs.
La FIFA a encore le temps de revoir sa copie. Espérons que le Conseil de la FIFA prendra pleinement conscience du danger que posent les groupes de 3 et, s’il tient absolument à étendre le Mondial à 48 équipes, optera pour un autre format. Un système à 12 groupes de 4, avec qualification des 8 meilleures 3es de groupes et 104 matchs au total (ce qui, à raison de 4 matchs par jour au maximum, allongerait le tournoi d’environ une semaine), bien que loin d’être idéal, serait bien meilleur.