Un navire de la classe Oasis en cours de construction à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), en octobre 2016. / Stephane Mahe / REUTERS

Excellente nouvelle pour Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). A l’occasion de la visite du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, jeudi 14 juin, une commande de trois énormes bateaux devait être officialisée. Le dernier grand chantier naval français, qui avait failli sombrer en 2012-2013, aura ainsi un carnet de commandes particulièrement rempli jusqu’en 2026.

En mai 2017, après avoir visité le gigantesque paquebot MSC Meraviglia tout juste achevé à Saint-Nazaire, Emmanuel Macron s’était extasié : « Devant cette cathédrale sur l’eau, je suis fier de ce que vous avez fait, avait déclaré le nouveau président de la République aux ouvriers en bleu de travail. Le long terme est ici. Cette entreprise qui vivait dans l’angoisse du lendemain a aujourd’hui un carnet de commandes qu’elle n’a jamais connu auparavant. »

Un an plus tard, son ministre pourrait se montrer encore plus enthousiaste. Non seulement les deux paquebots de la série World Class pour lesquels l’armateur MSC avait posé une option à l’occasion de la visite de M. Macron font à présent l’objet d’une commande ferme. Mais la compagnie de croisière y ajoute un troisième bâtiment, du type du Meraviglia, qui n’avait jusqu’à présent jamais été évoqué. Les trois géants des mers devront être livrés en 2022, 2023 et 2024. Tous seront propulsés au gaz naturel liquéfié, un combustible moins polluant que le fioul classique.

Au total, cette triple commande ferme représente une facture légèrement supérieure à 3,4 milliards d’euros. MSC confirme ainsi sa place parmi les tout premiers investisseurs privés en France. A elle seule, la compagnie de la famille italienne Aponte, de loin le premier client des ex-Chantiers de l’Atlantique, va signer un chèque équivalent à l’ensemble des investissements promis par les 140 grands patrons étrangers réunis par M. Macron en janvier à Versailles.

Garantie financière de l’Etat

De quoi réjouir le président de la République et son bras droit Alexis Kohler, cousin des Aponte et un temps directeur financier de MSC après avoir été l’un des hommes forts de Bercy – une situation de possible conflit d’intérêt, sur laquelle le Parquet national financier mène actuellement des investigations, à la suite d’une plainte de l’association Anticor.

Ces navires devraient assurer plus de 28 millions d’heures de travail aux salariés des chantiers et à leurs sous-traitants

Comme c’est généralement le cas, l’Etat français a favorisé la transaction en apportant sa garantie financière. Le prix des deux paquebots du type World Class a été un peu réévalué par rapport aux premières estimations, en fonction des modifications des plans demandées par MSC, mais aussi afin de permettre aux chantiers de mieux couvrir leurs coûts, précise un professionnel.

Les trois navires devraient assurer plus de 28 millions d’heures de travail aux salariés des chantiers et à leurs sous-traitants. Cela correspond à plus de 3 200 emplois directs pendant la durée du projet.

Saint-Nazaire, qui avait connu un grand creux d’activité au début des années 2010, est déjà redevenu une ruche bourdonnante. « En ce moment, on ne manque pas de travail. Tout le monde est sur le pont », témoigne Nathalie Durand-Prinborgne, de Force ouvrière.

Marché européen en croissance

Bruno Le Maire devait le constater par lui-même jeudi. Sur place, il était censé tourner les vannes pour mettre à flot le MSC Bellissima. Premier contact entre l’acier et la mer. Le même jour étaient programmées deux autres cérémonies : la découpe de la première tôle d’un deuxième paquebot, et la pose des deux pièces de monnaie traditionnelles sur la quille fraîchement installée d’un troisième, pour « attirer la bonne fortune ». Au total, trois immenses navires du même armateur se retrouvent simultanément en construction à Saint-Nazaire.

Cette effervescence est liée à la fois au tonus du marché des croisières et à la compétitivité des chantiers français. En 2017, plus de 6,9 millions de passagers ont effectué une croisière en Europe, soit 2,5 % de plus qu’en 2016, selon l’association professionnelle CLIA (Cruise Lines International Association).

Le marché européen de la croisière poursuit ainsi sa croissance, assez régulière depuis dix ans. Un mouvement tiré par l’offre, avec la mise en services de paquebots gigantesques, qui proposent, à des prix relativement serrés, des équipements variés : piscines, jacuzzis, terrains de sport, casinos, salles de spectacle, bars, restaurants, etc. Les navires deviennent ainsi une destination en eux-mêmes, même si certains jugent que ces monstres clinquants enlaidissent et polluent les villes d’escale. Sans compter les risques de naufrage…

MSC n’est pas seul à investir massivement pour attirer la clientèle avec des paquebots toujours plus innovants. Seize nouveaux navires de croisière sont attendus en 2018 en Europe, et 27 dans le monde. Parmi eux, le Symphony of the Seas, le plus gros de la planète, sorti lui aussi de Saint-Nazaire, en mars. Ce mastodonte, capable d’accueillir plus de 8 000 personnes, est exploité par l’armateur américain Royal Caribbean Cruises Ltd (RCCL), l’autre client historique des chantiers tricolores.