Aux Etats-Unis, le sort des enfants au cœur du débat sur l’immigration
Aux Etats-Unis, le sort des enfants au cœur du débat sur l’immigration
Par Simon Auffret
L’application de la « tolérance zéro » sur l’immigration, voulue par l’administration Trump, a ouvert un débat national sur la prise en charge des mineurs à la frontière.
Le portrait de Donald Trump est le premier représenté à l’entrée du centre de détention pour les migrants mineurs de la ville de Brownsville (Texas). / HANDOUT / REUTERS
Depuis quelques semaines, un sujet revient régulièrement à la « une » d’une partie des médias américains : le sort et la prise en charge des enfants et adolescents venant d’Amérique centrale séparés de leur famille lors du passage à la frontière.
Près de 2 000 enfants ont été séparés de leurs parents arrêtés pour avoir franchi sans papiers la frontière américaine, a révélé, vendredi, l’administration Trump qui revendique cette pratique au nom de la « tolérance zéro » contre l’immigration illégale. Entre le 19 avril et le 31 mai, 1 995 mineurs ont été séparés de 1 940 adultes interpellés et détenus par la police des frontières dans l’attente de poursuites, a fait savoir un porte-parole du ministère américain de la sécurité intérieure lors d’une conférence téléphonique.
Prise en application du dispositif de « tolérance zéro », annoncé le 7 mai par le procureur général des Etats-Unis (ministre de la justice), Jeff Sessions, cette mesure de séparation et d’isolement est devenue, pour celles et ceux qui la contestent, le symbole de la politique d’immigration du président américain, Donald Trump.
Pour dissuader les migrants d’accéder illégalement au territoire américain, le gouvernement a décidé de poursuivre pénalement et de manière automatique tout individu majeur qui passerait la frontière sans se présenter aux autorités, ceci avant d’inspecter le dossier de demande d’asile. Les mineurs ne peuvent pas suivre leurs parents dans cette procédure et sont envoyés dans des centres d’hébergement.
L’un de ces centres a été ouvert pour la première fois, mercredi 13 juin, à un petit groupe de journalistes américains. Implanté dans un ancien centre commercial Walmart de Brownsville, dans le sud du Texas, cette structure accueille 1 500 jeunes de 10 à 17 ans. Pour une large part, ils sont arrivés d’Amérique centrale, sans leurs familles, pour tenter de traverser la frontière vers les Etats-Unis — située à moins de dix kilomètres du centre.
« Cet endroit est appelé un “refuge” mais ces enfants sont bel et bien incarcérés », a commenté Jacob Soboroff, présent sur place pour MSNBC. « Il n’y a rien dans le centre qui m’ait semblé dangereux, sale ou tant soit peu horrible. En même temps, ces enfants n’ont pas le choix d’y être, ils sont détenus », a observé le journaliste de CNN Bob Ortega dès la fin de la visite.
Dans le centre de détention pour mineurs « Casa Padre », dans le sud du Texas. Les seules images de l’intérieur du bâtiment ont été fournies par l’association chargée de la gestion du lieu par l’administration américaine. / HANDOUT / REUTERS
Jeff Sessions, la bible et la séparation des familles
Face au tollé national provoqué par les images des familles divisées, Donald Trump a rejeté la responsabilité sur une mesure supposément votée pendant le mandat de Barack Obama : « Il faut mettre la pression sur les démocrates pour qu’ils abolissent cette loi horrible », a posté le président sur Twitter.
Une affirmation démentie notamment par CNN — le texte visé datait du mandat républicain de George W. Bush — qui explique l’apparition du phénomène par la « tolérance zéro » voulue par l’administration républicaine.
La séparation des familles est une « pratique antithétique, non seulement aux valeurs américaines, mais aussi à la plus simple humanité », ont déploré les chefs de file démocrates à la Chambre des représentants dans une lettre au département d’Etat, le 1er juin.
Même la conservatrice National review n’ose remettre en cause la polémique : dans un article intitulé « La vérité sur la séparation des enfants », Rich Lowry admet que « tout le monde préfère que les familles ne soient pas séparées », avant de déplorer que la présence d’enfants semble constituer « un encouragement pour les migrants » à demander un accès urgent aux Etats-Unis.
Jeff Sessions a finalement pris la parole, jeudi 14 juin, en défendant une nécessaire « application de la loi » pour justifier ces mesures.
Il a ensuite déclenché une nouvelle série de critiques en citant un passage de la Bible dans son discours : « Je veux vous citer la parole claire et sage de (…) Paul aux Romains, leur demandant le respect des lois car Dieu a missionné le gouvernement à l’exécution de ses volontés », a déclaré M. Sessions.
« Pour défendre la séparation des familles de migrants, Session cite le même passage utilisé pour défendre l’esclavage », titre en réaction le progressiste Washington Post.
De complexes retrouvailles
Interpellées dès leur arrivée sur le sol américain — le témoignage d’une mère séparée de sa fille en plein allaitement, puis menottée en tentant de résister, a notamment provoqué des manifestations de soutien — les familles connaissent des parcours différents, dépendant de leur condamnation pour entrée illégale, ou d’une candidature acceptée à la procédure de demande d’asile.
En moyenne, les enfants restent une cinquantaine de jours dans le centre « Casa Padre » de Brownsville. Des tests ADN et dentaires sont ensuite effectués pour retrouver puis rassembler les parents et les jeunes demandeurs d’asile, qui ont parfois du mal à supporter la séparation : dans un centre similaire à Estrella del Norte, en Arizona, « les enfants tentaient souvent de fuir, criaient, jetaient des objets et tentaient de se suicider », a par exemple raconté un ancien éducateur au Los Angeles Times.
Dans une salle du plus grand centre américain, raconte par ailleurs le même journal lors de sa visite, les enfants assistaient le 13 juin à une projection du film d’animation Disney Vaiana. En espagnol, l’héroïne chante au passage des journalistes : « Tous les chemins que j’emprunte, toutes les routes me ramènent vers cet endroit que je connais, où je peux aller mais où je souhaiterais rester. »
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