Des militaires maliens visés par une enquête après la découverte de fosses communes
Des militaires maliens visés par une enquête après la découverte de fosses communes
Par Morgane Le Cam (Bamako, correspondance)
Vingt-cinq corps ont été retrouvés mi-juin après que des soldats ont procédé à des arrestations dans la région de Mopti, dans le centre du pays.
Des militaires maliens patrouillent dans le centre du pays, en novembre 2017. / DAPHNE BENOIT / AFP
Le communiqué est explicite. Souvent critiqué pour son manque de communication concernant les allégations d’exécutions extrajudiciaires visant les forces armées maliennes (FAMA), le ministère de la défense a cette fois-ci pris les devants. Publié mardi 19 juin, le texte « confirme l’existence de fosses communes impliquant certains personnels FAMA dans des violations graves ayant occasionné la mort d’hommes à Nantaka et Kobaka, dans la région de Mopti ». Le ministre de la défense, Tiéna Coulibaly, a annoncé l’ouverture d’une enquête.
Depuis quelques jours, la rumeur montait. Le week-end dernier, l’association de défense des droits des populations pastorales Tabital Pulaaku a diffusé sur les réseaux sociaux une liste de 25 noms, à consonance peule, de personnes dont les corps auraient été retrouvés dans la région de Mopti, dans le centre du Mali. « Treize corps dans une fosse, sept autres corps dans une autre fosse et cinq autres dans une troisième fosse », précise l’association. L’armée malienne est alors pointée du doigt.
« Entre le marteau et l’enclume »
« C’était le 13 juin. J’ai vu les militaires encercler mon village, Nantaka. Ils sont arrivés à bord de plusieurs véhicules et ont procédé à des arrestations. Chaque homme qui passait était arrêté », affirme Ousmane Dicko, un proche d’une des victimes, originaire de cette localité située à seulement quelques kilomètres de Mopti. Il poursuit : « Ils n’ont gardé que les Peuls. Les membres des autres ethnies qu’ils avaient arrêtés, ils les ont libérés en leur demandant seulement de revenir les voir plus tard pour récupérer leur pièce d’identité et leur téléphone. » Le lendemain, 25 corps seront retrouvés dans des fosses.
Ousmane, comme d’autres habitants de la région de Mopti, dit être « entre le marteau et l’enclume » – entre les groupes rebelles et l’armée. « L’affaire de Nantaka, c’est malheureusement un contexte classique. Les djihadistes attaquent les forces de défense et de sécurité, puis l’armée réplique et les bavures commencent », soupire une source humanitaire.
Dans la région de Mopti, les FAMA ont payé un lourd tribut face aux groupes armés. Selon nos informations, depuis le début du mois de juin, quatre attaques les ont ciblés, tuant dix soldats. Pour contenir la menace, du renfort militaire a été envoyé dans la zone mi-juin. Depuis début avril, plus de 70 % des attaques qui ont visé les soldats ont eu lieu dans la région de Mopti, selon le dernier rapport du secrétaire général des Nations unies sur la situation au Mali, daté du 6 juin. Le centre du pays est un cercueil pour les FAMA.
La katiba Macina, du chef djihadiste peul Amadou Koufa, est souvent jugée responsable de ces attaques perpétrées dans le centre. De quoi créer l’amalgame. « On peut être Peul sans être djihadiste, nous ne sommes pas du bétail à abattre ! Trop c’est trop, le sang a trop coulé », s’emporte Ousmane Dicko. Il espère que l’enquête ouverte sur les fosses communes découvertes près de son village permettra de situer les responsabilités.
Sept enquêtes ouvertes
« Depuis 2017, nous avons documenté plus de sept fosses communes contenant les corps d’une soixantaine d’hommes qui auraient été tués par l’armée au cours d’opérations antiterroristes. Mais aucune de ces révélations n’a abouti à la justice », regrette Corinne Dufka, directrice adjointe de Human Rights Watch pour l’Afrique de l’Ouest, tout en saluant l’ouverture de cette enquête.
Depuis fin 2016, sept enquêtes portant sur des allégations d’exécutions extrajudiciaires formulées à l’encontre des forces de défense et de sécurité maliennes ont été ouvertes par les autorités. Elles concernent la mort de plus de 100 personnes. Avant celle des fosses communes de Nantaka, la dernière en date concerne la « neutralisation de douze personnes » à Boulikessi, à la frontière avec le Burkina Faso, avait précisé le ministère de la défense dans un communiqué publié le 7 juin. Des militaires sous commandement de la Force conjointe du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) sont soupçonnés. « Nous avons conduit une investigation sur les lieux et les résultats devraient nous parvenir dans les jours qui viennent », avait déclaré, le 30 mai, le général Didier Dacko, commandant de cette force militaire de 5 000 hommes.
Pour l’heure, sur les sept enquêtes lancées, les conclusions d’une seule ont été communiquées. Après la découverte d’une fosse commune contenant sept corps à Sokolo, dans la région de Ségou, le gouvernement avait annoncé, le 27 février, que les sept hommes « avaient été tués lors des combats dans la région ».