Alimentation : derrière les codes-barres, Oxfam dénonce « des inégalités à la chaîne »
Alimentation : derrière les codes-barres, Oxfam dénonce « des inégalités à la chaîne »
Le Monde.fr avec AFP
Agriculteurs et producteurs dans le monde gagnent toujours moins depuis 20 ans, alors que la grande distribution accumule les bénéfices, alerte l’ONG.
Une cliente achetant des tomates dans une esneigne de la grande distribution, à Hazebrouck, dans le nord de la France. / PHILIPPE HUGUEN / AFP
Le système alimentaire mondial revêt des disparités de plus en plus criantes. Agriculteurs et producteurs, en France et dans le reste du monde, gagnent toujours moins depuis 20 ans, alors que la grande distribution accumule les bénéfices, dénonce l’ONG Oxfam dans une étude internationale publiée jeudi 21 juin.
« La grande distribution est devenue la gardienne du commerce alimentaire mondial », juge l’association, qui alerte sur les « pressions continues » subies par les producteurs pour « qu’ils réduisent leurs coûts » tout en répondant « à des exigences de qualité des plus rigoureuses ».
Selon un calcul de l’ONG, les huit premières grandes surfaces du monde cotées en bourse ont réalisé quelque 1 000 milliards de dollars de vente en 2016 et près de 22 milliards de bénéfices. « Au lieu de réinvestir dans leurs fournisseurs, elles ont reversé la même année plus de 15 milliards de dollars de dividendes à leurs actionnaires », insiste cette étude intitulée : « Derrière le code-barres, des inégalités à la chaîne ».
Paradoxe « cruel »
La puissance d’achat de la distribution qui fait baisser continuellement les prix, exacerbe le risque de violations des droits de l’homme et des droits du travail – précarisation sans limite, enfants au travail, harcèlement, sont légion dans le secteur agricole et alimentaire. Entre le milieu des années 1990 et celui des années 2010, le prix des haricots verts du Kenya a ainsi baissé de 74 % et celui du jus d’orange brésilien de 70 %.
« Cette tendance a contribué au recul des prix payés aux paysans et producteurs qui désormais recouvrent à peine le coût de production », de plus en plus d’entre eux se voyant contraints d’abandonner leurs terres ou d’accepter des travaux précaires dans de grandes plantations, explique Oxfam. Jusqu’au paradoxe le plus « cruel » : la faim chez les paysans et les travailleurs du secteur. Ceux-là même qui produisent la nourriture.
En France, où le marché des produits alimentaires dépasse les 240 milliards d’euros par an, soit le plus gros marché de l’Union européenne (UE) derrière l’Allemagne, cette évolution, accompagnée de suicides d’agriculteurs, a conduit le gouvernement à proposer une loi en cours de discussion au parlement pour tenter de desserrer l’étau.
L’objectif est de rééquilibrer le partage de la valeur entre ceux qui produisent et ceux qui vendent dans un pays où cinq centrales « ont une influence sur 90 % des achats de produits alimentaires dans les enseignes de la grande distribution », selon Oxfam.
Etude d’un panier-type
Au niveau mondial, l’étude illustre les disparités croissantes sur la répartition de la valeur en étudiant un panier-type contenant douze produits allant des avocats du Pérou aux tomates du Maroc, en passant par des bananes d’Equateur, du thon en conserve de Thaïlande, du cacao de Côte d’Ivoire, café de Colombie, raisin d’Afrique du sud, haricots verts du Kenya, jus d’orange du Brésil, riz de Thaïlande, crevettes du Vietnam, ou thé d’Inde.
Entre 1996 et 1998, les producteurs, qui touchaient en moyenne 8,8 % du prix final du panier, ne recevaient plus que 6,5 % vingt ans plus tard, en 2015. Dans le même temps, la grande distribution voyait sa part gonfler à 48,3 % du prix final contre 43,5 % vingt ans avant.
Avec la croissance des discounteurs comme Aldi Nord, Aldi Sud et Lidl, et le rachat de Whole Foods en 2017 par Amazon, Oxfam craint une « ère nouvelle de réduction des coûts encore plus impitoyable » et une « accélération du nivellement par le bas des normes sociales et environnementales de la chaîne d’approvisionnement ».
Pourtant, l’ONG estime qu’il est « tout à fait possible » que les « paysans et travailleurs gagnent un revenu minimum vital ». « Il suffirait d’investissements minimes » pour favoriser un partage plus équitable de la valeur, selon l’étude qui préconise notamment la fixation d’un prix minimum par les pouvoirs publics pour les produits agricoles de base. Dans les pays de vente au détail, Oxfam prône l’utilisation du droit de la concurrence « pour démanteler la concentration de la puissance d’achat ».