Au Maroc, un colloque sur les libertés individuelles interdit par « manque de courage politique »
Au Maroc, un colloque sur les libertés individuelles interdit par « manque de courage politique »
Propos recueillis par Charlotte Bozonnet
Le publicitaire Noureddine Ayouch, président du Collectif démocratie et libertés, organisateur de l’événement, regrette la décision subite des autorités.
Il devait se tenir vendredi 22 et samedi 23 juin à Casablanca, mais n’aura finalement pas lieu. Le colloque international intitulé « Libertés individuelles à l’ère de l’Etat de droit » a été « interdit par les autorités marocaines », a fait savoir, mercredi, le Collectif démocratie et libertés (CDL), à l’origine de la manifestation.
Le colloque devait réunir des intervenants de plusieurs pays, notamment du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, d’Irak et de France, sur des questions aussi diverses que la liberté de conscience, l’égalité hommes-femmes dans l’héritage ou l’homosexualité. Autant de thématiques liées à la question des libertés individuelles, à l’origine de vifs débats au Maroc entre réformistes et conservateurs, alors que le Code pénal marocain continue de punir les relations sexuelles hors mariage, l’homosexualité, le prosélytisme religieux.
Au lendemain de l’interdiction, le publicitaire marocain Noureddine Ayouch, président du CDL, dénonce un « manque de courage politique ».
Le colloque que devait organiser le Collectif démocratie et libertés que vous présidez a été interdit au dernier moment. Comment cela vous a-t-il été notifié ?
Noureddine Ayouch L’interdiction nous a été officiellement notifiée mercredi 20 juin à 17 heures : un courrier a été apporté à mon bureau. A 16 heures déjà, j’avais reçu un coup de téléphone pour me l’annoncer. Nous pensions pourtant que tout allait bien puisque nous avions respecté les procédures d’autorisation pour ce type de manifestations. Lundi à 9 h 15, nous avions déposé notre demande. Théoriquement, les autorités ont quarante-huit heures pour manifester leur refus. Sans réaction mercredi à 9 h 15, nous pensions donc qu’il n’y avait pas de problème.
Quel était le programme du colloque ?
Il était très riche. Le premier jour, nous devions aborder le thème de la liberté de conscience avec l’expérience de plusieurs pays arabes comme la Tunisie, l’Algérie ou l’Irak, celui des minorités religieuses. L’après-midi, le débat aurait dû porter sur « Quelle sécularisation pour les pays arabes ? ». Le deuxième jour devait être consacré à la question de l’égalité entre hommes et femmes dans l’héritage, à la procréation médicalement assistée (PMA) et à la problématique des mères célibataires. Enfin, nous devions débattre de la liberté du corps au travers de l’homosexualité, des relations hors mariage notamment. Tout ceci avec de nombreux invités, spécialistes, personnalités politiques et associatives.
Depuis plusieurs jours, des pressions s’étaient déjà fait sentir…
Des salafistes s’étaient manifestés sur les réseaux sociaux ces derniers jours. Beaucoup plus grave : des ministres, qui avaient donné leur accord, ont commencé à changer d’avis. Ils l’ont fait après que la Fondation Al-Saoud [habituée à abriter ce type de manifestations], présidée par le ministre marocain des affaires islamiques, Ahmed Toufiq, est revenue sur sa décision d’accueillir le colloque. Mais, après tout, c’est une institution privée qui émane d’un pays étranger, elle est donc indépendante. Nous avions alors trouvé un grand hôtel à Casablanca qui acceptait de nous ouvrir ses portes. Mais les responsables ont reçu des appels pour leur signifier qu’ils devaient refuser.
Selon vous, pourquoi le colloque a-t-il été interdit ?
Je ne crois pas trop à la pression sur les réseaux sociaux. Certes, il y avait des gens contre, mais aussi des gens pour. Donc un débat avait lieu. Je ne crois pas non plus à la pression de l’Arabie saoudite, qui a d’autres sujets de préoccupation. Ce sont les thèmes qui ont dérangé les autorités et les mouvements religieux. Ils disent que le peuple n’est pas prêt, mais c’est faux, c’est un argument fallacieux. La raison de cette interdiction, c’est un terrible manque de courage politique. Nous avions invité tous les partis – y compris pour qu’ils expriment leurs désaccords – mais ils se sont tous désistés les uns après les autres, à l’exception du PSU [Parti socialiste unifié].
Il y a quelques semaines, la théologienne marocaine Asma Lamrabet, contrainte à la démission à cause de ses positions en faveur de l’égalité hommes-femmes dans l’héritage, dénonçait « une régression », un signal envoyé au « patriarcat religieux ». Partagez-vous cette opinion ?
Oui, je la partage. Bien sûr qu’il y a des choses positives, par exemple des progrès relatifs aux droits des femmes qui sont désormais autorisées à être adoul [notaire de droit musulman] ou à prêcher. Mais la Constitution de 2011 prévoyait de nombreuses avancées sur le plan des libertés individuelles, et elles ne sont pas appliquées. On dit une chose et on en fait une autre. Pourquoi ? Parce que la situation économique et sociale est tendue et que les responsables politiques ne veulent pas avoir de problèmes supplémentaires. Mais plus on attend et plus les conservateurs gagnent du terrain. Le Maroc est un pays moderne, il y a tout une génération qui veut que ça change. Mais nous n’avancerons pas sans courage politique.