Aux Etats-Unis, les données de géolocalisation téléphoniques désormais protégées par la Constitution
Aux Etats-Unis, les données de géolocalisation téléphoniques désormais protégées par la Constitution
Par Martin Untersinger
La Cour suprême américaine a rendu un arrêt décisif dans l’adaptation du droit aux évolutions technologiques.
La Cour suprême américaine, à Washington le 11 juin. / Erin Schaff / REUTERS
Le quatrième amendement de la Constitution américaine, qui protège la vie privée, peut s’appliquer aux données de géolocalisation générées par un téléphone portable. Et la police doit se munir d’un mandat d’arrêt pour y avoir accès. C’est la décision rendue, vendredi 22 juin, par la Cour suprême des Etats-Unis, dans un arrêt qui fera date dans la protection de la vie privée numérique et dans l’appariement du droit américain avec les évolutions technologiques récentes.
L’affaire jugée par la Cour suprême concerne Tim Carpenter, un Américain accusé d’avoir organisé plusieurs vols visant des magasins d’électronique de la région de Detroit au début des années 2010. Les autorités avaient requis ses données de géolocalisation auprès de son opérateur téléphonique, retraçant ainsi sans mandat ses déplacements pendant plusieurs mois. Il avait été condamné à cent seize ans de prison.
Les autorités s’appuyaient pour ce faire sur la doctrine dite du « tiers parti », un concept forgé à la fin des années 1970 par la Cour suprême, qui veut que lorsqu’une personne confie volontairement des données liées à sa vie privée à une entreprise privée, par exemple sa géolocalisation à son opérateur lorsqu’il utilise son téléphone, elle les soustrait à toute protection constitutionnelle.
Si ce principe avait du sens dans un monde analogique, la numérisation des activités humaines a considérablement élargi les éléments privés confiés à des entreprises et ainsi mis hors de portée de la Constitution un nombre croissant d’informations. La Cour a donc décidé, dans ce cas d’espèce, de s’écarter de ce principe. « Nous refusons de laisser à l’Etat un accès illimité aux données de géolocalisation d’un opérateur téléphonique » a écrit le président de la Cour, John G. Roberts. Ce dernier, un conservateur nommé par George Bush en 2005, s’est rallié aux membres plus libéraux de l’instance, leur offrant une courte majorité de 5 voix contre 4.
La portée de la décision au-delà de la géolocalisation téléphonique est incertaine. La Cour a décidé que la police devra présenter un mandat dans les cas où l’individu concerné dispose d’un « intérêt légitime » à la vie privée. Ce critère a été jugé trop flou par les quatre juges minoritaires, qui prônaient une application plus stricte du texte constitutionnel.
Les téléphones, témoins de nos existences
Mais pour le président Roberts, l’évolution de la technologie a fait des téléphones mobiles les témoins intimes de nos existences :
« Cartographier la localisation d’un téléphone portable sur une période de 127 jours fournit un aperçu global des déplacements de son propriétaire. Tout comme les informations GPS, ces informations précisément datées sont une fenêtre intime dans la vie de l’individu, révélant par le truchement de ses déplacements ses relations familiales, politiques, professionnelles, religieuses et sexuelles. »
Cette décision s’ajoute à un petit corpus de décisions de la Cour suprême tendant à appliquer la Constitution à la lumière de la numérisation de la société américaine. En 2012, la Cour suprême jugeait que tracer un suspect avec une balise GPS violait ses droits constitutionnels à la vie privée. Deux ans plus tard, les juges estimaient que la police devait se munir d’un mandat pour fouiller le contenu d’un téléphone portable recueilli sur une scène de crime.
Certaines entreprises phares de la Silicon Valley avaient soumis une motion encourageant les juges à appliquer le quatrième amendement à ces données téléphoniques. De leur côté, les ONG américaines de protection de la vie privée ont célébré cette décision. « C’est une victoire majeure » a déclaré l’Electronic Frontier Foundation. « La Cour suprême a convenu que nos outils numériques, et les données qu’ils génèrent, sont profondément enracinés dans nos vies » a déclaré Amie Stepanovich, d’Access Now. Pour l’American Civil Liberties Union, qui représentait Tim Carpenter à l’audience, il s’agit tout simplement « de la décision la plus fondamentale en matière de vie privée à l’ère numérique ».