Et de huit ! Le mystère reste entier sur l’ordre d’apparition à Paris de pochoirs attribués à Banksy, mais les yeux les plus affûtés de la capitale ont identifié, depuis le vendredi 22 juin, une série de pochoirs qui semblent clairement porter la patte du street artiste britannique, figure de proue d’une pratique qu’il a contribué à populariser depuis une quinzaine d’années. Voici, sous forme de questions-réponses, ce que l’on sait sur ce qui ressemble à une nouvelle intervention-surprise du maître du pochoir contestataire.

  • Comment a commencé cette chasse au trésor visuelle, qui a fait le tour des réseaux sociaux ce week-end, Instagram en tête ?

Le tout premier pochoir à avoir éveillé les soupçons est celui représentant une petite fille noire hissée sur une cagette en train de recouvrir une croix gammée taguée sur un mur de motifs décoratifs roses. Un tableau de Banksy datant de 2009 (intitulé Go Flock Yourself, il avait été présenté lors de son exposition au Musée de Bristol), montrait un jeune garçon en train de taguer ce même motif rose, version coulante du Damas, ce type de tissage précieux aux formes florales originaire de… Syrie. Le parallèle avec l’actualité migratoire et le lieu de réalisation de cette fresque – la porte de la Chapelle, près de l’ancien Centre de premier accueil des réfugiés, en bordure du périphérique – offre un faisceau de signes laissant supposer une intervention de Banksy. Indice supplémentaire : le pochoir est apparu dans la foulée de la Journée mondiale des réfugiés, célébrée le 20 juin, l’un des sujets au cœur du travail de l’artiste engagé ces dernières années.

  • Quels sont les pochoirs attribués à Banksy depuis ?

Ils sont désormais au nombre de huit : quatre grandes pièces et quatre petites, plus discrètes. Deux des grands formats ressemblent à des allégories : l’une du capitalisme, l’autre des migrants morts en traversant les Alpes vers la France cet hiver. La première représente un homme en costume, qui fait mine de proposer un os à un chien. Or, cet os semble être celui-même de la patte manquante du canidé, tandis que l’homme cache dans son dos une scie, laissant supposer que son intention est d’amputer à nouveau l’animal. La deuxième composition, la plus sophistiquée de la série, détourne un portrait de Napoléon franchissant les Alpes vers l’Italie par Jacques-Louis David (l’une des versions de ce tableau du XIXe siècle est visible au château de Versailles). A l’attitude conquérante du Français, dressé sur son cheval blanc, a été substituée une figure plus ambiguë : la cape-couverture rouge s’est rabattue sur la silhouette, qui semble inerte, et évoque un linceul écarlate. Enfin, une figure féminine recueillie est apparue sur une porte à l’arrière du Bataclan, hommage aux victimes du 13-Novembre.

Les petits formats sont des rats, devenus dans la culture urbaine les symboles des graffeurs. L’un fait référence aux 50 ans de Mai 1968 : la date a été taguée sur le mur, mais le 8 semble avoit été découpé pour être porté comme des oreilles de Mickey par un rongeur arborant le nœud rouge à pois blancs de Minnie, allusion ironique à EuroDisney. Deux autres rats décollent, assis chacun sur un bouchon de champagne, tandis que la bouteille est posée dans un seau à glace. Enfin, un dernier rat-bandit, un bandana sur le nez, semble installer un détonateur sur un panneau.

  • Est-on sûr qu’il s’agit d’œuvres de Banksy ?

L’approche sérielle, le style, les couleurs, le calendrier, les thèmes, les personnages : tout y est. Banksy ne signant plus ses œuvres depuis longtemps, le fait que ces nouveaux pochoirs ne soient pas signés correspond également à son modus operandi. En revanche, aucune allusion à cette incursion parisienne n’a pour l’instant été faite sur son site, Banksy.co.uk, ni sur son compte Instagram. Mais l’artiste, qui gère avec brio sa communication, sait ménager ses effets. On peut imaginer qu’il laisse Paris et ses habitants identifier ses interventions et déchiffrer ses messages avant, éventuellement, de commenter l’opération. D’autant que la série n’est peut-être pas terminée.

  • Etait-il déjà intervenu en France ?

Un des pochoirs présumés de Banksy à Paris, le 25 juin 2018. / THIBAULT CAMUS/AP

C’est une première dans les rues de Paris. Mais pas en France, puisque Banksy avait réalisé en une nuit quatre interventions à Calais en décembre 2015. Le plus emblématique : un portrait de Steve Jobs portant un baluchon sur l’épaule, venait rappeler aux abords de « la jungle » que le fondateur d’Apple, gloire américaine, était lui-même fils d’un émigré syrien. Et déjà une référence à la peinture classique française, avec un Radeau de la Méduse recouvert de migrants et ignoré par un ferry. Quelques semaines plus tard, c’est l’ambassade de France à Londres qui se voyait adresser, à travers une œuvre sur un mur voisin, une dénonciation de sa politique migratoire, avec une Cosette aveuglée par des gaz lacrymogènes sur fond de drapeau français en lambeaux.

  • Banksy est-il à Paris en personne ?

L’un des pochoirs attribués à Banksy à Paris, le 25 juin 2018. / THIBAULT CAMUS/AP

On sait que Banksy, roi du camouflage, prend le moins de risques possibles dans ses déplacements pour ne pas se faire démasquer après avoir réussi à rester anonyme jusqu’à présent. Il est même fort probable que ce ne soit pas lui directement qui ait peint les fresques, pour ne pas courir le risque d’être arrêté, et donc identifié, par la police. Ses interventions supposées se sont produites au cours d’une Fashion Week historique à Paris, avec les premiers défilés de l’Américain Virgil Abloh chez Louis Vuitton et du Britannique Kim Jones chez Dior, qui ont draîné de très nombreuses stars américaines et britanniques (Rihanna, Kanye West, Kim Kardashian, Kate Moss, Victoria Beckham, Kid Cudi, Robert Pattinson…). Le bon moment pour se fondre dans la masse des visiteurs. D’autant qu’une autre figure de l’art urbain, le New-Yorkais KAWS, réalisait exceptionnellement le décor et des pièces pour le défilé Dior. D’où ces énigmatiques bouteilles de champagne, images de cette actualité des plus fortunées ?

  • Où trouver ces fresques ?

Le pochoir de Banksy à la porte de la Chapelle a été vandalisé au cours du week-end. / THIBAULT CAMUS/AP

Deux des huit pochoirs identifiés étaient déjà en partie détruits lundi 25 juin : la petite fille de la porte de la Chapelle (18e) a été recouverte de peinture bleue, un des deux rats à califourchon sur un bouchon de champagne a été volé à même le mur (rue du Mont-Cenis, 18e). Restent Napoléon au 41, avenue de Flandre (19e), Mai-68 dans le Quartier Latin, près de la Sorbonne (rue Maître-Albert, 5e) et le rat-bandit sur un panneau de la rue Rambuteau (3e). Et la silhouette fantomatique du Bataclan, passage Saint-Pierre Amelot dans le 11e.