Documentaire sur Arte à 22 h 50

Ava Gardner (1922-1990), la fille des champs de Caroline du Nord, n’avait pas le ­talent dramatique d’une Bette ­Davis ou d’une Katharine Hepburn. Mais son visage et son corps sublimes avaient ce don mystérieux et irréfragable d’attirer la lumière et la caresse de la caméra.

Sa vie, que narre le documentaire de Sergio G. Mondelo, attira beaucoup l’attention du public et de la presse (d’autant qu’elle n’accordait pas d’entretiens à cette dernière), fascinés par la lente chute de cette icône qui se noya dans l’alcool et dans le tourbillon d’une vie sentimentale et sexuelle haute en couleur.

Pandora and the Flying Dutchman

Une grande partie de l’intérêt de ce film tient dans son évocation assez fouillée du séjour de la « brune latine incendiaire » en ­Espagne, où elle s’installe en 1955, à la surprise générale, en plein régime franquiste. Elle y échappe certes aux paparazzis d’Hollywood, mais elle y reste surtout parce qu’elle est tombée amoureuse de Madrid – et du flamenco qu’elle aime tant – à l’occasion du tournage de Pandora (1951), ­d’Albert Lewin.

Le pays est verrouillé, mais les Etats-Unis protègent la dictature et un territoire qui est le principal importateur de films américains en Europe. Si aucun document n’atteste qu’Ava Gardner ait rencontré le général Franco, qui était cinéphile et se faisait projeter beaucoup de films, il est probable qu’elle l’ait croisé au cours de nombreuses soirées officielles.

Luxe et débauche

Si elle fut d’évidence protégée par le régime, rien n’échappait cependant aux services de sécurité espagnols, qui surveillèrent ses faits et gestes pendant son long séjour. Ils savaient qu’elle terminait ses nuits dans les bars de ­Madrid où elle n’hésitait pas à se comporter de manière outrageuse, comme le rapporte une historienne espagnole.

Celle-ci raconte aussi qu’on pouvait, il y a peu encore, rencontrer de vieux chauffeurs de taxi madrilènes qui avaient dû déposer chez elle ou à l’hôtel une Ava Gardner ivre morte, voire inconsciente, qui dira dans les souvenirs de ses virées éthyliques : « Si vous connaissiez le circuit, les nuits étaient sans fin… »

Par cynisme ou par égoïste légèreté, Ava Gardner ignorera les réalités sociales d’un pays où l’on crevait de faim tandis qu’elle ­vivait une vie de luxe et de débauche (dont la presse espagnole rendra compte, notamment au sujet de ses torrides liaisons avec des toreros…).

The Barefoot Contessa Official Trailer #1 - Humphrey Bogart Movie (1954) HD

Ce documentaire ressemble, pour la partie images d’archives commentées, aux portraits par Frédéric Mitterrand de grandes figures du cinéma ou de l’histoire. Le destin mélancolique de la sublime Ava s’y prête on ne peut mieux. Les propos de la ­comédienne sont dits par la voix élégamment exténuée d’Anna Mouglalis.

Beaucoup de témoignages intéressants s’y ajoutent, dont ceux de l’essayiste et biographe Frédéric Martinez, auteur de Portraits d’idoles ­ (Perrin, 2015), et d’Antoine Sire, auteur de Hollywood, la Cité des Femmes : histoires des actrices de l’âge d’or d’Hollywood 1930-1955 (Actes Sud, 2016). Leurs analyses et formules sont bien trouvées et donnent du relief à un texte de commentaires en voix off qui n’évite pas les formules téléphonées (« Elle consomme, elle se consume ») mais rend cependant compte assez justement de la trajectoire de cette « Vénus des champs de tabac qui fait peur à force d’être belle », comme le dit si joliment Frédéric Martinez.

Ava Gardner, la Gitane d’Hollywood, de Sergio G. Mondelo (Fr, 2017, 52 minutes.)